dimanche 10 janvier 2016

Une formidable opportunité d'aligner ventes et marketing (ou: smarketing is smart)


A l'initiative d'Othman Boujena, qui dirige la Majeure Marketing de Neoma, je suis intervenu en fin d'année dernière sur la problématique de l'alignement des ventes et du marketing (ou Smarketing) en B2B. Il s'agissait bien sûr de détailler les raisons du manque de compréhension mutuelle des deux métiers - et leurs conséquences. Mais aussi d'évoquer l'espoir d'une évolution favorable de cet alignement, en raison du renversement de pouvoir en cours.
Ou: quand les jeunes marketers ont l'occasion de réaliser ce que ma génération n'a pas réussi à faire, améliorer le dialogue avec la vente. Et comment le storytelling peut en être l'instrument.



On va parler de marketing-ventes- B2B. B2B, business-to-business, qu'est-ce que c'est? Vendre à des entreprises. Mais encore? Généralement, il est de bon ton de l'opposer au B2C (business-to-consumers). Ce n'est pas forcément malin. Certes, la différence paraît évidente en un coup d’œil. Comme ça, intuitivement, quelle image du slide ci-dessus vous semble plus proche du B2B et du B2C? Pourquoi?
100% répondent que l'image de gauche correspond au B2B, et l'image de droite au B2C. Il y a donc bien une espèce de différence. Pour autant, il est difficile de parler du B2B si on se contente de l'opposer au B2C.


Par exemple, le mass marketing définit-il le B2C, au contraire du B2B qui se contenterait de vendre à un petit nombre de cibles? Non. Par exemple Schneider Electric vend des compteurs électrique à une cible (les électriciens) qui se dénombre par dizaines de milliers, cible adressée via des campagnes marketing et de communication qui n'ont rien à envier aux marques de grande conso.

Difficile également d'affirmer que tel secteur d'activité est B2B ou B2C. La restauration? Le bistro du coin est B2C, Sodexo (leader mondial de la restauration collective, parmi d'autres services de "qualité de vie") est B2B. L'industrie automobile? Renault fait de la pub grand public, tout en s'adressant aux concessionnaires.  L'informatique? Apple vend au particulier et aux entreprises. Même votre banquier sait faire la part des choses quand il s'adresse à vous en tant que mère de famille ou cliente chef d'entreprise.

De fait, la plupart des entreprises mettent les deux oeufs dans le panier, quand elles en ont la possibilité: elles pratiquent B2B et B2C, au point de frôler la schizophrénie. Ainsi Ferrero a-t-elle une activité marketing B2C (publicités notamment) mais une organisation commerciale B2B (présence de commerciaux en GMS). Le développement des réseaux sociaux a accéléré cette tendance, permettant à des entreprises B2B d’entretenir un lien direct avec le consommateur final (on parle de B2B2C).

Bref, cessons le petit jeu des comparaisons pour entrer de plain-pied dans le petit monde du B2B, où il se trouve que l'articulation marketing-ventes est particulièrement intéressante.



Qu'est-ce qui détermine le marketing-ventes B2B? Une liste de "plutôt":

  • une cible plutôt de professionnels (entreprises, indépendants, artisans...)
  • un nombre de cibles plutôt restreint (2 millions d’entreprises dont seulement 800 K > 5 salariés)
  • un panier moyen plutôt élevé (> 1 000€)
  • des offres plutôt complexes
  • plutôt plusieurs interlocuteurs décideurs
  • un cycle de décision plutôt complexe et lent (60% des décision aboutissent à un statu quo, c'est à dire à pas de décision, le projet est reporté)
  • une concurrence plutôt moins directe mais plus de concurrence indirecte (peu de parity products, des positionnements distincts)
  • une plutôt moindre volatilité des clients



Penchons-nous maintenant sur l'un des deux flancs de la colline B2B: le marketing. Etant donné ce qui vient d'être dit sur les caractéristiques du B2B, il est logique de trouver les caractéristiques suivantes:

  • budgets moindres (car peu de cibles et moindre concurrence directe)
  • marketing d’études quasi inexistant (pour les mêmes raisons)
  • marketing opérationnel didactique (et non émotionnel: il s'agit de convaincre un groupe de décideurs professionnels)


Conséquence: les marketers B2B souffrent de la comparaison avec leurs confrères du B2C (ceci explique cela). Pendant longtemps, les jeunes diplômés marketing ont massivement opté pour les grandes marques telles que Procter, L'Oréal, Nestlé...



A l'inverse, le commercial brille de mille feux au sommet des organisations B2B. Qu'il chasse ou qu'il fidélise, qu'il ait un profil rentre-dedans ou conseil, il est "Stars and tripes": son métier exige des tripes mais produit des stars. Comme le Directeur commercial d’Airbus, dont la légende affirme que les dirigeants de Boeing se demandent chaque jour où il est, dans quel nouveau pays il va signer des contrats. Dans certaines entreprises, le meilleur commercial touche plus que son patron.




Dans la relation marketing-vente, les commerciaux sont donc en position de force. 
Ils veulent essentiellement des leads et se plaignent des supports produits par le marketing, sans parler des résultats d’études.

En face, les marketers sont frustrés: ayant souvent un cursus scolaire long (la majorité d’entre eux ont un Bac+4 ou 5 et viennent d’écoles de commerce; à l’inverse beaucoup de commerciaux B2B se sont formés sur le terrain à partir d’un BTS), ils se trouvent dans la position du livreur de pizza qui, après avoir fait une course pied au plancher, s’entend dire par le client (bière à la main devant son poste télé) qu’il a 2 minutes de retard et qu’il ne paiera pas. 




En fin de compte, tout le monde est perdant. Le déséquilibre de la situation entre marketing et ventes provoque des tensions entre les équipes (marketers: "les commerciaux n’en font qu’à leur tête"; commerciaux: "les marketers sont incapables de livrer de bons leads"). Il y a des conséquences sur la notoriété : quand le marketing et les ventes ne tiennent pas le même discours, c'est gênant. D'autres, plus ennuyeuses encore, sur le business: les commerciaux finissent par ne plus considérer les leads transmis par les marketers et ne plus utiliser les supports et discours fournis par les marketers; et ils ne remontent plus les informations vers le marketing. Ils ‘appuient essentiellement sur la fidélisation avec des armes classiques ("coucher chez le client"), qui se révèlent de moins en moins efficaces.




La donne est cependant en train de changer, le déséquilibre de s'inverser. La faute à l'évolution du cycle d'achat! 66% du parcours d’achat est désormais fait sur le net. Les commerciaux sont appelés très tardivement. On parle de "zero moment of truth" ou Zmot: le client se fait l’idée de ce qu’il veut sans l’aide du commercial.
Ce n'est pas tout. Le développement du ecommerce et du big data menace à court terme la population commerciale, en B2B comme ailleurs. 
Dans le même temps, le marketing reprend des couleurs: c’est à lui d’une part de traiter les données de plus en plus volumineuses dont il dispose (d’où la montée en puissance de la fonction CDO, Chief data Officer). Mais aussi et surtout d’organiser l’information pour qu’au moment de prendre contact avec le commercial, le client soit dans les meilleures dispositions.




Nous sommes à l'ère du marketing de contenu, ou inbound marketing: un véritable âge d’or du marketing, particulièrement en B2B où le contenu est roi. C’est une chance pour les jeunes marketers, mais aussi une responsabilité: les futurs directeurs marketing-commerciaux B2B ont l'opportunité, unique, de rétablir la cohésion entre marketing et ventes. Mais comment?



En fait, il existe sans doute plusieurs solutions pour fluidifier les échanges entre les deux départements. La première solution consiste à les fusionner en un seul département; puis à faire de tout marketer un commercial, et de tout commercial un marketer. Mais avant d'atteindre ce niveau ultime d'alignement, le storytelling peut être un instrument utile pour surfer sur la lame de fond du contenu afin de renforcer l'articulation entre les deux services.



Le storytelling repose sur une idée forte, étayée par de nombreuses études scientifiques : il est beaucoup plus efficace de transmettre des informations sous la forme d’une histoire, quelque soit le public visé. Présenter une argumentation sous la forme d’une histoire est un pari gagnant :

  • C’est la plus vieille forme de communication qui soit, et qui est appréciée de tous
  • C’est une structure logique dans laquelle on se repère facilement, porte-parole comme interlocuteurs
  • C’est une structure avec des personnages auxquels les interlocuteurs peuvent s’identifier






De fait, une entreprise est une histoire. Une histoire qui a une raison d'être initiale, des objectifs poursuivis, des péripéties. Quand un dirigeant doit présenter son entreprise à des investisseurs, il évoque le pourquoi du projet d'entreprise, puis il parle de ses objectifs, des bénéfices attendus; et enfin il détaille la façon dont il compte s'y prendre pour les atteindre. Cependant, il ne peut tenir ce discours à des investisseurs et un discours fondamentalement différent à ses collaborateurs. Il y aura des nuances, mais pour l'essentiel la trame sera identique. Idem s'il s'adresse à des clients, ou à des journalistes. C'est donc la même histoire qu'on retrouve dans toutes ses dimensions: finances, RH, et aussi marketing et ventes.

Une histoire "mère" qui trouve alors son application marketing dans toutes sortes de contenus : article web, emailing, white paper, brochure, dossier de presse… Et dans l'équivalent commercial: elevator's pitch, argumentation, proposition, …

Si marketing et ventes parviennent ensemble à construire une histoire commune, ils établissent la base d'une coordination efficace.



Prenons un exemple: la lead gen, ou comment détecter plus de projets grâce au storytelling.
Ce qui fait que le % de "Leads accepted" (= leads librés par le marketing aux commerciaux et acceptés par ceux-ci comme un réel projet) est faible, c’est que marketers et commerciaux ne sont pas d’accord sur les critères qui font un bon lead.
  • Pour un marketer: c’est un prospect dans la cible qui marque un intérêt.
  • Pour un commercial: c’est une personne dans une grosse entreprise qui demande certaines informations.
Mais les désaccords tombent si les uns et les autres se mettent autour d'une table pour écrire l'histoire de ce qu'est un lead - avec pour juge-arbitre l'histoire mère. Pour définir ce qu'est un lead, ils s'appuieront sur les raisons de production de leads, ils se donneront des objectifs, et ils s'accorderont sur les moyens de les obtenir.



A condition toutefois de ne pas "se raconter d'histoire". Le slide ci-dessus reprend un extrait de la présentation d’un grand groupe, tirée de sa plaquette institutionnelle. On y retrouve, en 4 phrases, les 4 maux de la communication moderne.

  • Trop conceptuel: si la plaquette comprend quelques rares exemples de réalisation, dans le texte on ne trouve que des concepts flous: capacité d’innovation, mobilise ses compétences, exigence de performance....
  • Trop d’infos : l’époque est à l’empilement des informations sans queue ni tête. Cf les journaux d’information continue… Dans cet exemple, on mêle des réseaux, des systèmes, d’énergie et d’information (!)… Qui amène à une confusion entre objectifs et moyens : le groupe apporte des réponses pertinentes, mais quand se préoccupe-t-il du besoin client?
  • Trop partiel : on privilégie une partie de la vision en étant allusif sur le reste. En l’occurrence, le problème que la solution doit résoudre est complètement occulté.
  • Trop de jargon: génie électrique, le génie climatique et l’exploitation-maintenance de vos installations…



Elaborer une histoire ne s’improvise pas. En l’occurrence, il s’agit de répondre à trois questions :

    Pourquoi ?
    Qui fait quoi ?
    Comment ?

Il existe toujours plusieurs réponses à ces questions. Le choix s’avère délicat, mais il est judicieux quand il respecte les trois piliers du message (la clarté, l’actualité et la proximité). Au final, le récit s'avère une savante alchimie entre concepts, faits et émotions.

Ecrire l'histoire de l'alignement marketing-ventes ne demande pas "trop" de temps. Pourquoi? Parce que c'est le temps nécessaire pour se demander à quoi servent vos efforts marketing et commerciaux. Quels buts ils poursuivent, pour répondre à quelle attente. Une réflexion de fond essentielle dont le storytelling n'est finalement qu'un instrument utile.

Pour en savoir plus: http://themessagecompany.fr/salespitch/

Mise à jour du 11/1/16: dans cette étude, Bain constate le renversement de la relation client/fournisseur en B2B et recommande, comme solution, le décloisonnement des équipes marketing et ventes.


Philippe Guihéneuc View Philippe GUIHENEUC's profile on LinkedIn


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