mercredi 16 novembre 2011

Comment on construit un argumentaire




Argumentaire : document écrit qui a pour objectif d’apporter à celui qui l’utilise les mots justes pour 1) provoquer une opinion favorable chez son interlocuteur 2) le convaincre de passer à l’étape suivante – généralement un rdv ou une proposition.

En matière de vente, il existe de nombreux types d’argumentaires, chacun adapté à un contexte différent : la prospection téléphonique, le rendez-vous en clientèle, la démonstration d’un produit. Mais aussi la présentation d’un bilan à des investisseurs, la défense d’un projet dans un colloque, un discours politique, une situation d’embauche, qui, après tout, sont aussi des situations de vente. A bien y regarder, on argumente en permanence. Et dès le plus jeune âge : les parents confirmeront que les cris de leur bébé sont des arguments sans faille pour les inciter à lui donner le biberon.
 
http://t1.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcSoVPcsL25bXFiYyxfQFAdTUhTfuLhAFGFDb7NBvVaXFE3IQGpLwg
 
Or, bien que tout le monde s’accorde à reconnaître son importance, l’argumentaire est presque toujours bâclé. Il est bâclé par les dirigeants et managers qui, tout en ayant le sentiment de produire un effort louable et d’y consacrer un temps précieux, ne mesurent pas toujours l’impact du mot juste pour la valorisation de leur offre. Il est également sous-utilisé par les commerciaux qui trouvent bien suffisant de le lire rapidement et de retenir deux ou trois idées fortes. Résultat : de concepts mal digérés en expressions inadaptées, de réponses approximatives en contradictions, le discours s’effiloche, perd de son tranchant, de sa crédibilité.
 
Préparation de l'argumentation
 
Un argumentaire initial de bonne qualité demande du temps. Voici une méthode pour l’élaborer.

-      Le dirigeant ou le Directeur commercial nomme un « rédacteur », généralement un responsable marketing ou un commercial doté d’une bonne plume. Le rédacteur rédige une première version d’argumentaire. Parallèlement, le dirigeant provoque une réunion de brainstorming où sont conviés un responsable marketing ou communication, un ou deux commerciaux, et un responsable production ou service. Le rédacteur présente sa première version. Un débat s’engage.
-      Le rédacteur intègre tout ou partie des commentaires dans une seconde version, qu’il transmet individuellement à chaque participant par email. Chacun apporte une réponse, toujours par email, toujours individuellement. Le rédacteur rédige alors une troisième version qu’il transmet au dirigeant, qui peut apporter des retouches.
-      Une réunion finale réunit alors tous les participants à ce processus, plus tous les futurs utilisateurs du document. La dernière version est présentée et commentée par le rédacteur. Chacun peut s’exprimer et chaque commentaire est pris en considération, mais à ce stade on ne doit plus modifier profondément le document. Le rédacteur sera ensuite chargé de transmettre une version finale à chaque collaborateur en relation avec les clients. Il pourra également produire des versions contextuelles (une version pour la prospection téléphonique, une autre pour présenter une nouvelle offre, une autre pour présenter l’entreprise à des analystes etc.). 

Ce processus laisse à chacun sa chance d’exprimer sa créativité, tout en hiérarchisant l’apport de chaque partie dans l’élaboration du texte final. Et de ménager les susceptibilités…
 
La dynamique des arguments
 
Un argumentaire comprend trois parties : l’argumentation initiale, qui est une forme de discours introductif ; le traitement des questions les plus probables ou les plus courantes ; et le traitement des objections.
L’argumentation initiale expose tout d’abord sommairement le propos. C’est une phrase très courte qui présente simplement le sujet que l’on va aborder. Vous constaterez que cette courte phrase est très difficile à trouver.

Le mécanisme d’une argumentation réussie résulte essentiellement de la notion de « tension dramatique ». Au théâtre, la tension dramatique s’installe quand un héros doit prendre une décision dans un contexte qui se dégrade au point de menacer l’harmonie, le bonheur ou la paix des protagonistes. Le héros hésite. Acceptera-t-il l’invitation à dîner de son rival, tout en sachant qu’elle lui sera probablement fatale ? De son hésitation naît une tension, c’est la tension dramatique. Elle entoure la décision, crée le suspense et retient l’attention de l’auditoire. C’est un moment fort de la pièce.

De la même façon qu’au théâtre il y a des moments faibles, informatifs, et des moments de forte tension dramatique, une présentation commerciale est constituée de moments faibles et de moments forts. L’argumentation doit s’en faire le reflet.

Le début d’une argumentation est nécessairement un moment fort. Tout comme la conclusion, il doit marquer les esprits. Comment créer la tension dramatique ? Imaginez un ressort. Pour qu’il y ait tension, il faut qu’il y ait d’abord pression. Puis on lâche le ressort : c’est la détente. Le procédé est identique en matière de discours : on commence par mettre la pression en décrivant une situation désagréable, négative, voire désastreuse, à laquelle est (ou sera, ou pourrait être) confronté notre interlocuteur. J’ai le souvenir d’un commercial qui, au début d’une visite chez un prospect, au moment de prendre la parole, se leva de table, se dirigea tranquillement vers le paper-board et, dans un silence total, dessina un rond. « Voilà votre CA », dit-il au prospect. Puis il dessina un second rond, plus important : « Et voici celui de votre principal concurrent. » Puis il hachura nerveusement toute la partie intermédiaire, qui paraissait de fait prendre un espace gigantesque et ajouta solennellement « Et voici pourquoi vous devez nous choisir ». Ce commercial appliquait le vieux proverbe chinois selon lequel une image vaut 10 000 mots. Ayant affolé ses interlocuteurs, il leur apportait le réconfort sur un plateau d’argent.

Car après la pression, c’est le moment de la détente : il existe une solution, vous la proposez.
Le mécanisme pression-détente de la tension dramatique n’est pas toujours facile à exécuter. Pour commencer, il est nécessaire de se renseigner sur notre interlocuteur avant l’entretien,  de pré-qualifier ses problèmes – deviner « là où ça fait mal ». Toutes les situations de vente n’autorisent pas cette pré-qualification. Par exemple, lorsqu’on prospecte par téléphone, on dispose rarement d’informations précises sur la situation de l’entreprise à qui l’on s’adresse. C’est pourquoi il est si important de précéder la phase d’appels par une phase de pré-qualification, même rudimentaire, par Internet. On trouve beaucoup d’informations sur le web, suffisamment la plupart du temps pour fournir des arguments de « pression ». Parfois, un appel préalable passé auprès du standard ou du secrétariat permet d’affiner le niveau d’information dont on dispose, et de trouver de nouveaux arguments de pression. Pensez également aux techniques de tracking, par email ou sur le web, qui permettent de comprendre les centres d’intérêt de vos interlocuteurs ou, pour le moins, de leur entreprise.
 
La preuve
 
Il est temps maintenant d’évoquer un autre binôme essentiel dans une argumentation : c’est le couple idée-preuve. Un mauvais argument est une idée non prouvée. Un bon argument est une idée prouvée, une idée-preuve. Si vous dites : « Cette voiture est plus sûre », vous énoncez une idée mais elle n’a rien pour convaincre. Si vous dites en revanche : « Le magazine Carmobile, qui a fait subir des tests à toutes les voitures du marché, a classé cette voiture en tête de son palmarès », vous énoncez un argument structuré, c'est-à-dire une idée-preuve. J’ai bien conscience, en écrivant ce paragraphe, d’enfoncer une porte ouverte. Qu’un argument doive être prouvé n’est pas une découverte. Tout le monde le sait… et bien peu l’appliquent.

La conclusion de l’argumentation initiale est évidemment un autre moment fort de la présentation, c’est pourquoi elle doit être abordée avec tact. Commencez en douceur par un résumé rapide de ce qui vient d’être dit. A chaque affirmation, qui n’est qu’un rappel de vos arguments précédents, vous provoquerez l’acquiescement de l’assistance. Vous la mettrez ainsi en situation favorable pour accepter votre proposition la plus importante : une action qui permet de franchir un nouveau palier : « Je peux vous adresser un devis » ou « Je peux vous faire envoyer un échantillon de test ». Il s’agit d’un pont jeté entre deux rives, celle où vous vous tenez et celle où vous souhaitez vous rendre. L’ennui, c’est que votre pont est très fragile. A ce stade, si votre interlocuteur hésite, il risque de vous dire non. Et s’il vous dit non, tout votre édifice s’écroule, parce que nous sommes à nouveau dans un moment fort. Quoi que vous puissiez dire par la suite, vos interlocuteurs garderont à l’esprit qu’au moment fatidique, à l’instant de conclure, on vous a objecté un refus brutal et probablement définitif. Ce que Talleyrand exprime dans une jolie formule : « Oui et Non sont les mots les plus faciles à prononcer ; et ceux qui demandent le plus d’examen ».

Comment protéger votre pont ? Comment le fortifier ? Comment le rendre invulnérable à l’examen ? La réponse est simple : il faut lui éviter de passer l’examen. En clair, ne laissez pas à vos interlocuteurs le loisir de refuser. A peine aurez-vous proposé un nouveau palier que vous devrez leur demander s’ils ont des questions. En effet, personne n’aime refuser une proposition, en particulier quand elle a été amenée avec tant de soin. Personne – ou presque – ne trouve de satisfaction dans le fait de causer du déplaisir à quelqu’un. Facilitez la vie de vos interlocuteurs. Offrez-leur une alternative, celle de vous poser des questions et de repousser l’échéance où ils devront exprimer leurs doutes. S’ils en ont.

Le débat (questions et objections) est comme l’oral du bac. S’il a lieu, c’est que vous n’avez pas obtenu une note qui vous classe définitivement parmi les vainqueurs – ou les perdants. C’est la séance de rattrapage. Pour autant, l’exercice n’a rien de dramatique et s’annonce même sous de bons auspices. En effet, le simple fait qu’on vous pose une question, ou même qu’on vous fasse une objection, témoigne d’un intérêt pour vos arguments. La conclusion du débat ne présente alors pas de différence majeure avec celle de l’argumentation initiale. Vous vous assurez que vous avez bien répondu à chaque question et objection, puis vous proposez votre pont.
 
 
Comment trouver des arguments ?
 
Nous avons évoqué plus haut une méthodologie. Oui, mais comment le rédacteur trouve-t-il les arguments? En faisant tourner la machine à argumenter.

Dans le moule, on introduit les ingrédients : ce sont les enjeux. On définit des enjeux respectifs pour le secteur, pour l’entreprise, pour le service, et pour l’interlocuteur. Par exemple, un enjeu pour le secteur peut être lié à une nouvelle réglementation, qui introduit des contraintes de fabrication donnant une chance supplémentaire à votre solution d’être bien reçue. Un enjeu pour le service (auquel appartient votre interlocuteur) peut être lié au rachat de l’entreprise par un grand groupe qui a parlé de restructurations. Connaître les enjeux implique une bonne connaissance sur le sujet. Vous pouvez trouver bon nombre d’information sur le web ou faire appel à un cabinet spécialisé dans la veille opérationnelle.

Les ingrédients étant introduits, on fait tourner le moteur en se posant cette question : « Etant donné les enjeux, comment notre offre peut-elle permettre au client : d’augmenter son CA ? / de diminuer ses dépenses ? / de limiter ses risques ? / d’élargir son horizon (gagner en liberté) ? ». La machine se met alors à produire des arguments en quantité. Ne retenez que ceux qui passent au travers du filtre suivant, qui est in fine celui de l’acheteur :
-          L’argument apporte de la crédibilité à votre offre ou à vous-même
-          L’argument apporte la preuve que l’offre valorise l’entreprise de l’acheteur
-          L’argument prouve qu’il faut acheter maintenant ; plus tard, il sera trop tard.
 
Comment dérouler les arguments ?
 
Le déroulé des arguments initiale suit un ordre logique. Imaginons un candidat au cours d’un entretien de recrutement pour un poste de commercial.

-      Il commence par des arguments génériques, vrais dans tous les cas de figure. Par exemple : « Je suis un bon commercial, j’ai acquis des techniques de vente solides que j’ai pu expérimenter avec succès ».
-      Puis il présente des arguments relatifs, c'est-à-dire valables essentiellement en comparaison de la concurrence. « J’étais le meilleur commercial de ma précédente société parce que je réalisais le plus gros chiffre d’affaires de l’équipe depuis plusieurs mois ». Le candidat sait que cet argument ne pourra pas être avancé par tous les autres candidats au poste.
-      Enfin, il présente des arguments personnalisés, qui impliquent l’interlocuteur : « En tant que commercial de votre entreprise, je m’engage à réaliser un objectif personnel de 1 M€ par an ». La plupart des commerciaux à qui je fais passer des entretiens de recrutement sont totalement incapables de s’engager sur quelque chiffre que ce soit, et quand je leur en fais la remarque, ils répondent généralement : « Ben ça dépend de ce que vous pensez que je peux faire ». 

Par ailleurs, dans une argumentation il est souhaitable de se ménager des périodes de relative passivité (par exemple en posant une question de forme à un interlocuteur) qu’on mettra à profit pour souffler, mais aussi observer et éventuellement prendre des décisions pour la suite de l’argumentation.
 
Comment traiter une objection ?
 
A une objection il ne faut jamais répondre : « Vous avez tort », mais « C’est exact », puis reformuler ou recadrer. Par exemple, si votre interlocuteur vous reproche : « Vous allez détruire l’équilibre au sein de l’entreprise », vous pourrez répondre : « En effet, notre offre vous permet de trouver de nouveaux équilibrages, pour plus d’efficacité ».

D’autre part, il faut toujours chercher à grouper les objections avant d’y répondre : « Est-ce votre seule objection ? En avez-vous d’autres ? Si je réponds correctement à votre objection, j’en déduirai que vous serez convaincu par notre offre. ». Cela permet d’éviter l’effet « fusillade » où les objections s’enchaînent aux parades sans discontinuer.

Si l’objection est fausse, si c’est un mensonge, il faut nuancer le propos de l’interlocuteur sans le contredire frontalement : « Vos jouets sont dangereux » - « Si en effet ils étaient dangereux, nous les retirerions immédiatement. Le problème n’est pas la sécurité, que nous vérifions soigneusement chaque année, mais bien la fiscalité qui alourdit le secteur et nous empêche d’investir pour suivre les normes édictées par Bruxelles…. ».

Si l’objection est très agressive ou sans valeur (on parle alors de « fausses barbes »), il faut demander des précisions, puis contre-attaquer sur des faits précis.

Dans tous les cas, ne suivez pas le conseil de Helbert Hubbard : « Si vous ne pouvez pas répondre à l'argument de quelqu'un, tout n'est pas perdu. Vous pouvez encore l'injurier. ». Parfois plus difficile à dire qu’à faire…

Philippe Guihéneuc View Philippe GUIHENEUC's profile on LinkedIn


Autres articles sur la vente

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.