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mercredi 7 décembre 2011

Negociation et gestion des situations speciales


Sixième partie d'une série d'articles sur la négociation:
Les formes de la négociation
Préparer une négociation: la phase amont
Choisir une stratégie de négociation
Rôles et tactiques au cours d'une négociation
La conduite d'une négociation


Avertissements: 
- La négociation est ici évoquée comme technique professionnelle dans un contexte d'achat/vente ou de discussion entre professionnels. Par souci de clarté, il arrive nous citions des cas tirés de la vie quotidienne: négociation sur le prix d'un logement, candidature de recrutement, discussion familiale. Il conviendra donc de faire la part des choses: si l'on négocie dans la vie de tous les jours (et parfois sur des enjeux importants), il est évidemment malsain d'utiliser un stratagème déloyal pour obtenir d'un enfant qu'il se couche, ou d'un ami qu'il vous prête sa voiture. A l'inverse, seule une minorité songerait à critiquer la vieille tactique du bon et du méchant si elle permet d'obtenir les aveux d'un criminel avéré. Les outils sont... les outils, c'est à dire ni bons, ni mauvais intrinsèquement. Seule leur finalité peut faire l'objet d'une critique morale. 
- Bien sûr, la meilleure des négociations est fondée sur la sincérité et la recherche d'une solution gagnante pour toutes les parties... Malheureusement, dans ce monde imparfait sincérité et positivisme ne sont pas toujours suffisants. Il arrive aussi - pas si rarement, en fait - que votre vis-à-vis ne partage pas votre bonne volonté. C'est pourquoi il me paraît utile d'étudier la négociation sous toutes ses formes, les plus nobles comme les plus laides.
- Pour illustrer le propos sont régulièrement cités des passages de 'Saint Germain ou la négociation' de F. Walder.
 "J’ai toujours observé qu’en négociation l’élément imprévu était de précieux rapport pour qui sait s’en servir"(1)

Résoudre un litige quand les deux parties sont de bonne volonté

La négociation parfaite, basée sur un respect mutuel et la stricte observance de règles d'échange basées sur la sincérité et l'objectivité, et aboutissant sans accroc à un accord gagnant pour les deux parties, n'est malheureusement pas chose courante. Le plus souvent se glissent pendant la négociation des situations difficiles, de blocage. Pour la dénouer il faut un peu de méthode, au risque d'aboutir à une paralysie totale.
1- Commencez par rappeler les faits : « sauf erreur de ma part ».
2- Faites comprendre à votre interlocuteur que vous êtes prêts à un affrontement mais que vous préférez l’éviter. Expliquez votre position : « Personne n’aime à penser qu’il fait une mauvaise affaire. Nous voulons faire une affaire juste, ni plus, ni moins. Il s’agit donc seulement d’établir les bases de ce que peut être une affaire juste, une bonne affaire pour les deux parties ».
3- Pour chaque point de litige, ne pas affirmer une position mais poser des questions. Circonvenir le problème.
4-    Ne prenez pas de décision sur l’instant. Donnez-vous le temps de réfléchir.

Si le blocage se prolonge mais que les deux parties reconnaissent vouloir trouver un compromis, on peut faire nommer un négociateur tiers et neutre, un conciliateur. Lequel utilisera probablement la procédure du texte unique. Plutôt que de partir des propositions et drafts de contrats émis pas chaque partie, il écoutera soigneusement les arguments puis proposera un premier texte, puis un second etc. jusqu’à conclusion d’un accord.

Les situations anormales

Il arrive que la partie adverse refuse de négocier selon les règles de l'art. On se situe alors dans une 'situation spéciale'. Il en existe plusieurs sortes, définies par le 'style' du négociateur, que nous allons détailler dans cet article.

Le négociateur brutal

Le négociateur brutal est un rustre qui, pour une raison ou une autre, pense qu'il obtiendra plus s'il demande avec une massue. Le négociateur brutal est un bon ami de Madame Va-t-en-guerre. Un exemple célèbre est celui de Nikita Khroutchev qui, en introduction à la crise des missiles de Cuba, avait utilisé son soulier pour taper son pupitre  à la tribune des Nations Unies avant de déclarer : « Ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous est négociable ».

Comment négocier avec une brute ? La première règle, la plus importante parce qu'elle vous permettra probablement de débloquer la plupart des situations, consiste à tâcher de déterminer si cette attitude est volontaire, ou le fruit d'une ignorance des us et coutumes de la négociation. Quel est l'intérêt de la brute à refuser la discussion? La réticence adverse peut venir d'une incompréhension, d'un manque de communication. Il suffit alors d'installer l'échange. Curieusement, le plus féroce des ours s'attendrit devant un pot de miel. Il peut aussi s'agir d'un moyen pour le négociateur en face de vous de justifier son rôle aux yeux de sa propre équipe. Dans ce cas, laissez faire. Une fois le grognement passé, on pourra entrer dans une relation sereine, ou pour le moins, normale.

Mais s'il s'avère que le blocage est un comportement délibéré pour asseoir une position de force, que la brute n'est brute qu'en apparence, il n'y a pas d'autre moyen que de refuser avec fermeté, en faisant passer le message que notre solution de repli vous autorise à ne pas entrer dans un jeu déséquilibré. Ensuite seulement, quand la partie adverse a pris conscience qu'elle se dirige vers un échec, proposez un compromis, que votre interlocuteur saisira comme une chance de rétablir la situation : négociation secrète, intervention d’un tiers, discussion par courrier… En tout état de cause, il est déconseillé de céder aux exigences préalables à la négociation sans mettre en avant ses propres exigences (par effet miroir).



Le négociateur pervers

Un négociateur pervers est un être relativement amoral, voire immoral, persuadé que l'usage de stratagèmes déloyaux lui sera d'un plus grand bénéfice qu'une discussion sincère et objective.

Face à ce type de personnage, la première des recommandations est de rester calme. Faites comprendre que vous n’êtes pas dupe – mais évitez la confrontation brutale (« Vous vous fichez de moi ? » ne donnera pas d'autre résultat qu'un masque d'étonnement).

Voici quelques stratagèmes déloyaux et quelques moyens de les contrer.

- Le mensonge délibéré. Vérifiez tous les arguments et informations communiqués par la partie adverse. Si vos interlocuteurs constatent que vous ne vous contentez pas de leurs assertions, ils seront moins tentés de mentir.

- Les promesses fallacieuses. Un homme politique affirmait que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Dans les closings commerciaux, on voit souvent l’acheteur promettre monts et merveilles. « Je sais que notre maison-mère s’intéresse de très près à notre projet. J’ai déjà évoqué votre nom à notre PDG. Après la signature, je pourrais vous le faire rencontrer ». Demandez des précisions, des preuves (dans l’exemple ci-dessus, une copie des emails échangés entre votre interlocuteur et son PDG). Puis, le cas échéant, obtenez de votre adversaire qu’il reconnaisse la réalité des faits (« Vous reconnaîtrez avec moi qu’en l’état actuel de ce que vous nous proposez, nous ne pouvons pas inclure ces éléments comme valeur d’échange. Bien sûr, nous sommes prêts à étudier toute nouvelle information en la matière que vous voudrez bien nous communiquer »).

- La menace. Parade : répondre qu’on ne travaille pas sous la menace, puis immédiatement enchaîner sur un point constructif. Si la menace persiste, faites remarquer à votre interlocuteur que son attitude pourrait mener à l’échec des négociations, ce que personne ne souhaite. « Est-ce ainsi que vous concevez la relation avec nous ? Doit-on en comprendre que par la suite, vous continuerez en permanence à nous menacer ? Doit-on prendre en compte votre attitude comme une constante dans nos relations futures ? Car, croyez-le bien, cela changerait considérablement notre point de vue sur la valeur de l’échange ». Valeriu Butulescu (écrivain et essayiste roumain) : « Avant de négocier avec le loup, mets-lui une muselière ».

- L'affront (mettre en doute, critiquer, sous-estimer, attaquer sur des points annexes ou personnels…). Ce sont les attaques personnelles… Ne vous en offusquez pas et concentrez-vous sur les faits, sur la recherche de solutions constructives, quoi qu’il en coûte à votre ego.

- L'intimidation. Vos interlocuteurs vous font attendre, vous reçoivent dans de mauvaises conditions (ils ne vous servent pas d’eau, vous font attendre debout …), ils répondent aux appels et s’absentent sans mot dire en cours de réunion, regardent par ailleurs en évitant soigneusement de croiser vos yeux… Il existe des centaines de ces tristes manœuvres, doublement stressantes. Car on est déstabilisé, ce qui pousse à trop parler. Feignez l’indifférence. Relisez vos notes, votre dossier. Personnellement, je vais jusqu'à ouvrir un livre ou mon ordinateur, ce qui surprend suffisamment mon interlocuteur - et le vexe juste assez pour rétablir un semblant d'équilibre. Evitez absolument de vous énerver, de montrer des signes d’agacement, en somme d’agir comme vos adversaires s’attendent à ce que vous fassiez.

-    Le saumon. Le stratagème du saumon consiste, si l’on consent à un compromis, à demander en échange que l’on revienne sur une décision qui a précédemment été actée, au principe qu’elle doit être revue à la lumière des arguments qui ont conduit au compromis. Bref, un pas en avant, deux pas en arrière, en vue d'aboutir à perdre le négociateur que vous êtes dans un entrelacs de calculs où vous n'avez plus de vision globale de la situation. Il convient simplement de refuser de revenir sur une décision qui a été actée, quelque soit l'argument développé. Ce qui a été décidé a été décidé.

- Les dés sont jetés. Prenons l’exemple de la confrontation imaginée par Thomas Schelling. Deux conducteurs se défient en fonçant l’un vers l’autre. Le perdant est celui qui écarte son véhicule pour éviter la collision. Dans la stratégie des dés jetés, l’un des conducteurs arrache son volant et le jette par la fenêtre. L’autre n’a que deux solutions : s’écarter de sa route ou accepter le choc. La stratégie des dés jetés est fréquemment utilisée par les syndicats qui, en période de grève, annoncent publiquement qu’ils ne cèderont pas à moins que le gouvernement accepte leurs exigences. Par leur déclaration, ils s’enferrent eux-mêmes dans la contrainte : ils n’ont plus d’autre choix que de réussir, donc le gouvernement de céder. On peut parer les dés jetés en tâchant de diminuer la portée des propos : « Vous avez annoncé un objectif. Nul ne peut prétendre à atteindre tous ses objectifs ».  Quand ce n’est pas possible, il est préférable de se retirer, de faire échouer la négociation en proposant qu’elle reprenne sur d’autres bases, éventuellement avec d’autres acteurs. « Soyez à leur pied… A leurs genoux… Mais jamais dans leurs mains » (Talleyrand).

- L’assistant. Si vous vous rendez compte en cours de route que vous négociez avec un non-décideur, validez l’intérêt de l’interlocuteur puis proposez de négocier avec le décideur.

- La temporisation. L’adversaire gagne du temps, fait reculer la décision. Si le temps joue objectivement en sa faveur, il faut chercher à en limiter les effets et trouver des critères objectifs pour que la négociation s’inscrive dans un timing précis.

- L'affectif. Si un interlocuteur fait appel à des sentiments ou exprime un affect, écoutez-le religieusement mais refusez d’entrer dans son jeu. Restez objectif et appuyez-vous uniquement sur les faits.

Le négociateur colérique


Les trois parades possibles pour désamorcer une colère sont :
- de compatir si le mécontentement vous semble justifié
- de poser des questions sur un ton calme s'il ne l'est pas et que vous sentez votre irascible capable de revenir à la raison,
- ou de rester longtemps silencieux. Le silence est un outil efficace : il incite votre interlocuteur à occuper l'espace et, ce que faisant, à se libérer. De plus, il renforce le poids de votre discours lorsque vous prenez la parole. On n'écoute jamais aussi bien quelqu'un que s'il ne dit jamais rien.

Faire échouer une négociation

Dans les cas extrêmes, si aucun autre moyen n’a fonctionné, il vous reste à accepter l'échec de la négociation. Assurez-vous dans ce cas :
-    Que vous pourrez en faire porter la responsabilité à un fait précis. Non pas pour vous défausser, mais pour vous donner une chance de reprendre les négociations.
-    Que vous disposez de soutiens pour relancer les négociations en évitant les pièges et les incidents qui ont conduit à l’annulation de la première session.


Conclure une négociation

Pendant toute la durée de la négociation, rappelez-vous que pour que la partie adverse dise oui il faut:
-    qu'elle soit intéressée par notre offre
-    que cet intérêt justifie qu'elle y passe du temps par la suite (donc qu’elle y trouve un intérêt supérieur aux inconvénients soulevés par la nouvelle donne, voire supérieur aux offres concurrentes).
-    et qu'elle ne la mette pas en danger
Les 6 critères décisifs qui joueront en votre faveur pour emporter la décision finale sont :
-    Votre crédibilité sur le dossier
-    Votre pertinence (des objectifs réalistes s’appuyant sur des arguments fondés)
-    La clarté des bénéfices que votre interlocuteur va retirer de l’accord
-    Sa conviction que ce que vous proposez est réalisable
-    Le sentiment partagé que l’accord doit être conclu maintenant, que plus tard sera trop tard.

Ne revenez jamais sur un accord conclu, quel qu’en soit le motif. Fuyez les questions d’après closing, elles ne peuvent que tout remettre en cause, voire générer des frustrations. « Les femmes pardonnent parfois à celui qui brusque l’occasion, mais jamais à celui qui la manque » (Talleyrand).

On aura eu soin de préparer à l’avance la conclusion d’un accord. Car une fois l’accord signé, il va falloir l’annoncer. Qui va s’en occuper ? Auprès de qui ? Comment ?

Enfin, prenez le temps d’analyser les résultats d’une négociation a priori. Discutez-en avec vos équipes, validez les chemins suivis, assurez-vous de leur soutien pour la prochaine négociation.

(1) Saint Germain ou la négociation, de Francis Walder
Philippe Guihéneuc View Philippe GUIHENEUC's profile on LinkedIn


mercredi 16 novembre 2011

Comment on construit un argumentaire




Argumentaire : document écrit qui a pour objectif d’apporter à celui qui l’utilise les mots justes pour 1) provoquer une opinion favorable chez son interlocuteur 2) le convaincre de passer à l’étape suivante – généralement un rdv ou une proposition.

En matière de vente, il existe de nombreux types d’argumentaires, chacun adapté à un contexte différent : la prospection téléphonique, le rendez-vous en clientèle, la démonstration d’un produit. Mais aussi la présentation d’un bilan à des investisseurs, la défense d’un projet dans un colloque, un discours politique, une situation d’embauche, qui, après tout, sont aussi des situations de vente. A bien y regarder, on argumente en permanence. Et dès le plus jeune âge : les parents confirmeront que les cris de leur bébé sont des arguments sans faille pour les inciter à lui donner le biberon.
 
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Or, bien que tout le monde s’accorde à reconnaître son importance, l’argumentaire est presque toujours bâclé. Il est bâclé par les dirigeants et managers qui, tout en ayant le sentiment de produire un effort louable et d’y consacrer un temps précieux, ne mesurent pas toujours l’impact du mot juste pour la valorisation de leur offre. Il est également sous-utilisé par les commerciaux qui trouvent bien suffisant de le lire rapidement et de retenir deux ou trois idées fortes. Résultat : de concepts mal digérés en expressions inadaptées, de réponses approximatives en contradictions, le discours s’effiloche, perd de son tranchant, de sa crédibilité.
 
Préparation de l'argumentation
 
Un argumentaire initial de bonne qualité demande du temps. Voici une méthode pour l’élaborer.

-      Le dirigeant ou le Directeur commercial nomme un « rédacteur », généralement un responsable marketing ou un commercial doté d’une bonne plume. Le rédacteur rédige une première version d’argumentaire. Parallèlement, le dirigeant provoque une réunion de brainstorming où sont conviés un responsable marketing ou communication, un ou deux commerciaux, et un responsable production ou service. Le rédacteur présente sa première version. Un débat s’engage.
-      Le rédacteur intègre tout ou partie des commentaires dans une seconde version, qu’il transmet individuellement à chaque participant par email. Chacun apporte une réponse, toujours par email, toujours individuellement. Le rédacteur rédige alors une troisième version qu’il transmet au dirigeant, qui peut apporter des retouches.
-      Une réunion finale réunit alors tous les participants à ce processus, plus tous les futurs utilisateurs du document. La dernière version est présentée et commentée par le rédacteur. Chacun peut s’exprimer et chaque commentaire est pris en considération, mais à ce stade on ne doit plus modifier profondément le document. Le rédacteur sera ensuite chargé de transmettre une version finale à chaque collaborateur en relation avec les clients. Il pourra également produire des versions contextuelles (une version pour la prospection téléphonique, une autre pour présenter une nouvelle offre, une autre pour présenter l’entreprise à des analystes etc.). 

Ce processus laisse à chacun sa chance d’exprimer sa créativité, tout en hiérarchisant l’apport de chaque partie dans l’élaboration du texte final. Et de ménager les susceptibilités…
 
La dynamique des arguments
 
Un argumentaire comprend trois parties : l’argumentation initiale, qui est une forme de discours introductif ; le traitement des questions les plus probables ou les plus courantes ; et le traitement des objections.
L’argumentation initiale expose tout d’abord sommairement le propos. C’est une phrase très courte qui présente simplement le sujet que l’on va aborder. Vous constaterez que cette courte phrase est très difficile à trouver.

Le mécanisme d’une argumentation réussie résulte essentiellement de la notion de « tension dramatique ». Au théâtre, la tension dramatique s’installe quand un héros doit prendre une décision dans un contexte qui se dégrade au point de menacer l’harmonie, le bonheur ou la paix des protagonistes. Le héros hésite. Acceptera-t-il l’invitation à dîner de son rival, tout en sachant qu’elle lui sera probablement fatale ? De son hésitation naît une tension, c’est la tension dramatique. Elle entoure la décision, crée le suspense et retient l’attention de l’auditoire. C’est un moment fort de la pièce.

De la même façon qu’au théâtre il y a des moments faibles, informatifs, et des moments de forte tension dramatique, une présentation commerciale est constituée de moments faibles et de moments forts. L’argumentation doit s’en faire le reflet.

Le début d’une argumentation est nécessairement un moment fort. Tout comme la conclusion, il doit marquer les esprits. Comment créer la tension dramatique ? Imaginez un ressort. Pour qu’il y ait tension, il faut qu’il y ait d’abord pression. Puis on lâche le ressort : c’est la détente. Le procédé est identique en matière de discours : on commence par mettre la pression en décrivant une situation désagréable, négative, voire désastreuse, à laquelle est (ou sera, ou pourrait être) confronté notre interlocuteur. J’ai le souvenir d’un commercial qui, au début d’une visite chez un prospect, au moment de prendre la parole, se leva de table, se dirigea tranquillement vers le paper-board et, dans un silence total, dessina un rond. « Voilà votre CA », dit-il au prospect. Puis il dessina un second rond, plus important : « Et voici celui de votre principal concurrent. » Puis il hachura nerveusement toute la partie intermédiaire, qui paraissait de fait prendre un espace gigantesque et ajouta solennellement « Et voici pourquoi vous devez nous choisir ». Ce commercial appliquait le vieux proverbe chinois selon lequel une image vaut 10 000 mots. Ayant affolé ses interlocuteurs, il leur apportait le réconfort sur un plateau d’argent.

Car après la pression, c’est le moment de la détente : il existe une solution, vous la proposez.
Le mécanisme pression-détente de la tension dramatique n’est pas toujours facile à exécuter. Pour commencer, il est nécessaire de se renseigner sur notre interlocuteur avant l’entretien,  de pré-qualifier ses problèmes – deviner « là où ça fait mal ». Toutes les situations de vente n’autorisent pas cette pré-qualification. Par exemple, lorsqu’on prospecte par téléphone, on dispose rarement d’informations précises sur la situation de l’entreprise à qui l’on s’adresse. C’est pourquoi il est si important de précéder la phase d’appels par une phase de pré-qualification, même rudimentaire, par Internet. On trouve beaucoup d’informations sur le web, suffisamment la plupart du temps pour fournir des arguments de « pression ». Parfois, un appel préalable passé auprès du standard ou du secrétariat permet d’affiner le niveau d’information dont on dispose, et de trouver de nouveaux arguments de pression. Pensez également aux techniques de tracking, par email ou sur le web, qui permettent de comprendre les centres d’intérêt de vos interlocuteurs ou, pour le moins, de leur entreprise.
 
La preuve
 
Il est temps maintenant d’évoquer un autre binôme essentiel dans une argumentation : c’est le couple idée-preuve. Un mauvais argument est une idée non prouvée. Un bon argument est une idée prouvée, une idée-preuve. Si vous dites : « Cette voiture est plus sûre », vous énoncez une idée mais elle n’a rien pour convaincre. Si vous dites en revanche : « Le magazine Carmobile, qui a fait subir des tests à toutes les voitures du marché, a classé cette voiture en tête de son palmarès », vous énoncez un argument structuré, c'est-à-dire une idée-preuve. J’ai bien conscience, en écrivant ce paragraphe, d’enfoncer une porte ouverte. Qu’un argument doive être prouvé n’est pas une découverte. Tout le monde le sait… et bien peu l’appliquent.

La conclusion de l’argumentation initiale est évidemment un autre moment fort de la présentation, c’est pourquoi elle doit être abordée avec tact. Commencez en douceur par un résumé rapide de ce qui vient d’être dit. A chaque affirmation, qui n’est qu’un rappel de vos arguments précédents, vous provoquerez l’acquiescement de l’assistance. Vous la mettrez ainsi en situation favorable pour accepter votre proposition la plus importante : une action qui permet de franchir un nouveau palier : « Je peux vous adresser un devis » ou « Je peux vous faire envoyer un échantillon de test ». Il s’agit d’un pont jeté entre deux rives, celle où vous vous tenez et celle où vous souhaitez vous rendre. L’ennui, c’est que votre pont est très fragile. A ce stade, si votre interlocuteur hésite, il risque de vous dire non. Et s’il vous dit non, tout votre édifice s’écroule, parce que nous sommes à nouveau dans un moment fort. Quoi que vous puissiez dire par la suite, vos interlocuteurs garderont à l’esprit qu’au moment fatidique, à l’instant de conclure, on vous a objecté un refus brutal et probablement définitif. Ce que Talleyrand exprime dans une jolie formule : « Oui et Non sont les mots les plus faciles à prononcer ; et ceux qui demandent le plus d’examen ».

Comment protéger votre pont ? Comment le fortifier ? Comment le rendre invulnérable à l’examen ? La réponse est simple : il faut lui éviter de passer l’examen. En clair, ne laissez pas à vos interlocuteurs le loisir de refuser. A peine aurez-vous proposé un nouveau palier que vous devrez leur demander s’ils ont des questions. En effet, personne n’aime refuser une proposition, en particulier quand elle a été amenée avec tant de soin. Personne – ou presque – ne trouve de satisfaction dans le fait de causer du déplaisir à quelqu’un. Facilitez la vie de vos interlocuteurs. Offrez-leur une alternative, celle de vous poser des questions et de repousser l’échéance où ils devront exprimer leurs doutes. S’ils en ont.

Le débat (questions et objections) est comme l’oral du bac. S’il a lieu, c’est que vous n’avez pas obtenu une note qui vous classe définitivement parmi les vainqueurs – ou les perdants. C’est la séance de rattrapage. Pour autant, l’exercice n’a rien de dramatique et s’annonce même sous de bons auspices. En effet, le simple fait qu’on vous pose une question, ou même qu’on vous fasse une objection, témoigne d’un intérêt pour vos arguments. La conclusion du débat ne présente alors pas de différence majeure avec celle de l’argumentation initiale. Vous vous assurez que vous avez bien répondu à chaque question et objection, puis vous proposez votre pont.
 
 
Comment trouver des arguments ?
 
Nous avons évoqué plus haut une méthodologie. Oui, mais comment le rédacteur trouve-t-il les arguments? En faisant tourner la machine à argumenter.

Dans le moule, on introduit les ingrédients : ce sont les enjeux. On définit des enjeux respectifs pour le secteur, pour l’entreprise, pour le service, et pour l’interlocuteur. Par exemple, un enjeu pour le secteur peut être lié à une nouvelle réglementation, qui introduit des contraintes de fabrication donnant une chance supplémentaire à votre solution d’être bien reçue. Un enjeu pour le service (auquel appartient votre interlocuteur) peut être lié au rachat de l’entreprise par un grand groupe qui a parlé de restructurations. Connaître les enjeux implique une bonne connaissance sur le sujet. Vous pouvez trouver bon nombre d’information sur le web ou faire appel à un cabinet spécialisé dans la veille opérationnelle.

Les ingrédients étant introduits, on fait tourner le moteur en se posant cette question : « Etant donné les enjeux, comment notre offre peut-elle permettre au client : d’augmenter son CA ? / de diminuer ses dépenses ? / de limiter ses risques ? / d’élargir son horizon (gagner en liberté) ? ». La machine se met alors à produire des arguments en quantité. Ne retenez que ceux qui passent au travers du filtre suivant, qui est in fine celui de l’acheteur :
-          L’argument apporte de la crédibilité à votre offre ou à vous-même
-          L’argument apporte la preuve que l’offre valorise l’entreprise de l’acheteur
-          L’argument prouve qu’il faut acheter maintenant ; plus tard, il sera trop tard.
 
Comment dérouler les arguments ?
 
Le déroulé des arguments initiale suit un ordre logique. Imaginons un candidat au cours d’un entretien de recrutement pour un poste de commercial.

-      Il commence par des arguments génériques, vrais dans tous les cas de figure. Par exemple : « Je suis un bon commercial, j’ai acquis des techniques de vente solides que j’ai pu expérimenter avec succès ».
-      Puis il présente des arguments relatifs, c'est-à-dire valables essentiellement en comparaison de la concurrence. « J’étais le meilleur commercial de ma précédente société parce que je réalisais le plus gros chiffre d’affaires de l’équipe depuis plusieurs mois ». Le candidat sait que cet argument ne pourra pas être avancé par tous les autres candidats au poste.
-      Enfin, il présente des arguments personnalisés, qui impliquent l’interlocuteur : « En tant que commercial de votre entreprise, je m’engage à réaliser un objectif personnel de 1 M€ par an ». La plupart des commerciaux à qui je fais passer des entretiens de recrutement sont totalement incapables de s’engager sur quelque chiffre que ce soit, et quand je leur en fais la remarque, ils répondent généralement : « Ben ça dépend de ce que vous pensez que je peux faire ». 

Par ailleurs, dans une argumentation il est souhaitable de se ménager des périodes de relative passivité (par exemple en posant une question de forme à un interlocuteur) qu’on mettra à profit pour souffler, mais aussi observer et éventuellement prendre des décisions pour la suite de l’argumentation.
 
Comment traiter une objection ?
 
A une objection il ne faut jamais répondre : « Vous avez tort », mais « C’est exact », puis reformuler ou recadrer. Par exemple, si votre interlocuteur vous reproche : « Vous allez détruire l’équilibre au sein de l’entreprise », vous pourrez répondre : « En effet, notre offre vous permet de trouver de nouveaux équilibrages, pour plus d’efficacité ».

D’autre part, il faut toujours chercher à grouper les objections avant d’y répondre : « Est-ce votre seule objection ? En avez-vous d’autres ? Si je réponds correctement à votre objection, j’en déduirai que vous serez convaincu par notre offre. ». Cela permet d’éviter l’effet « fusillade » où les objections s’enchaînent aux parades sans discontinuer.

Si l’objection est fausse, si c’est un mensonge, il faut nuancer le propos de l’interlocuteur sans le contredire frontalement : « Vos jouets sont dangereux » - « Si en effet ils étaient dangereux, nous les retirerions immédiatement. Le problème n’est pas la sécurité, que nous vérifions soigneusement chaque année, mais bien la fiscalité qui alourdit le secteur et nous empêche d’investir pour suivre les normes édictées par Bruxelles…. ».

Si l’objection est très agressive ou sans valeur (on parle alors de « fausses barbes »), il faut demander des précisions, puis contre-attaquer sur des faits précis.

Dans tous les cas, ne suivez pas le conseil de Helbert Hubbard : « Si vous ne pouvez pas répondre à l'argument de quelqu'un, tout n'est pas perdu. Vous pouvez encore l'injurier. ». Parfois plus difficile à dire qu’à faire…

Philippe Guihéneuc View Philippe GUIHENEUC's profile on LinkedIn


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