1983. Le parti socialiste était au pouvoir depuis deux ans, et
pourtant la période n’était pas rose. La crise n’en finissait pas de détruire
des emplois, et l’inflation de mordre dans le pouvoir d’achat. C’est dans ce
contexte de morosité ambiante que Jacques Marseille et Alain Plessis publiaient
(chez Hachette) Vive la crise et
l’inflation, un brillant et provocant essai de 369 pages. Ils y développaient
l’idée que crise et inflation sont des phénomènes bénéfiques à moyen terme,
l’une étant propice à l’innovation, donc à l’émergence d’une nouvelle
prospérité, la seconde limitant les effets néfastes de l’endettement, ce mal
récurrent du pays et des ménages.
La suite allait partiellement leur donner raison. L’année
même de cette publication, Motorola lançait le premier téléphone portable, le
DynaTAC 8000X. Six ans plus tard, deux chercheurs du CERN, Tim Berners-Lee et
Robert Cailliau, inventaient le web.
Mobile et web, les deux inventions à l’origine du rebond de la
fin des années 90. Quand à l’inflation, elle a été jugulée. Mais pas la dette.
Au point que la dette devient un sujet de crise !
Trente ans après Vive
la crise et l’inflation, le petit monde du marketing semble à son tour touché par les deux
phénomènes. La crise économique, qui selon
82% des responsables webmarketing, va restreindre leurs budgets ; et
l’inflation de données, le fameux Big Data, l’un des principaux enjeux des
prochaines années. Comme Marseille et Plessis en leur époque, rappelons ici
pourquoi les marketers peuvent en profiter.
La crise met le
marketing au centre de l’entreprise
Il est d’usage de considérer les périodes de crise comme propices
aux directions financières – le temps est aux calculs et aux efforts
budgétaires. Mais cette crise est différente. A en croire les meilleurs
économistes, elle se caractérise par un
amoindrissement considérable de la visibilité que les directions générales ont de
leur marché. « Il n’y a pas si longtemps, on pouvait prévoir le chiffre
d’affaires du prochain trimestre en fonction du chiffre du trimestre de l’année
précédente, auquel on appliquait un coefficient de tendance, positif ou
négatif. Mais aujourd’hui, les variations sont si brutales que la prévision
économique à court terme devient hasardeuse », se plaignait récemment un
expert d’un observatoire privé. En manque de repère, les dirigeants se tournent
naturellement vers leur principal pourvoyeur d’informations de terrain :
le CMO. Ce qui contribue à déplacer le centre de gravité stratégique vers le
marketing.
C’est donc sans surprise que les marketers, interrogés par
Accenture, mettent nettement en avant le customer
analytics comme priorité d’investissement en 2012. Sans surprise aussi que
le terme web analytics monte
progressivement dans les recherches Google, tandis que telemarketing, par exemple, chute régulièrement (voir le graphe
ci-dessous). Le métier ne change pas, mais les missions ne sont plus les mêmes.
Cette progression induit la multiplication de solutions adaptées à l’analyse, ou
la
création d’outils marketing spécifiques à la connaissance et à la compréhension.
L’inflation de
données est nécessaire à l’automatisation des process marketing
Et des moyens, les marketers peuvent légitimement en
réclamer, car les données ne manquent pas. L’économie se digitalise à grande
vitesse. Dans les entreprises, la dématérialisation s’étend silencieusement. La
croissance du commerce électronique (+22% en 2011) ne se dément pas, même dans
les secteurs atones. Et partout on évoque le Big Data, cet afflux massif de
données en provenance de canaux dont le nombre augmente chaque année. Aussi la
capacité à traiter un volume de données en croissance exponentielle apparaît-elle,
aux yeux des marketers, comme l’un
des quatre enjeux de ces prochains mois.
Un enjeu, mais aussi une chance ! Car la donnée
digitale est, par nature, une information structurée. On peut donc la calibrer,
la filtrer, la trier, la croiser… en vue d’enrichir l’analyse, mais aussi d’alimenter
les process industriels. Autrefois, les commerciaux appelaient les prospects à
intervalles réguliers pour les accompagner dans le processus de maturation de
leur projet, du stade ‘curiosité’ à l’achat. Aujourd’hui, une importante partie
de ce travail est automatisable.
1-
Imaginons un prospect qui vient sur votre site
web pour la première fois. Grâce à une solution de web
tracking, sa société est identifiée.
2-
Les adresses emails correspondant à cette
société, disponibles sur le web ou dans une base email/société, sont mises à
disposition d’un routeur. Lequel envoie un message avec un contenu choisi en
fonction du parcours du visiteur[1].
3-
Si le visiteur clique dans l’email, ou qu’il
revient plus tard sur le site par tout autre moyen, il est à nouveau détecté. Ses
différentes actions enrichissent l’historique de sa relation, lequel est
enregistré dans le CRM. Ainsi le statut du prospect va-t-il évoluer, plus ou
moins vite, d’une maturité faible à forte. Le passage d’une phase à l’autre
déclenche de nouvelles actions (proposition de webinar, envoi d’une vidéo, …),
dites de retargeting,
destinées à accélérer la maturation du projet.
4-
Lorsque l’intérêt du prospect a atteint un haut
niveau, il quitte le domaine marketing pour entrer dans la sphère commerciale.
C’est un lead, qui demande une prise en compte par un vendeur.
Ainsi, les commerciaux se voient confier des appels vers des
prospects dont l’intérêt initial a été soigneusement cultivé. De sa réflexion,
ils connaissent la nature, l’évolution, les détails. Quelle différence avec la
vente telle qu’on la pratiquait il y a quelques années ! Mais cela n’a de
sens que si, en amont, le Big Data continue de prospérer. Car, comme le disait
très justement l’un des participants au dernier forum
du CMIT : « Nous avons tous besoin de trouver ces nouvelles cibles que
nous ne connaissons pas encore, qui ne nous connaissent pas encore mais qui sont
néanmoins capables de porter un projet à court ou moyen terme. Et nous avons
besoin de les connaître avant que le projet arrive à maturation ».
Alors, ne faut-il pas penser avec le Gartner Group, qui
prédit que le marketing va récupérer une part importante des budgets IT au
cours des prochaines années[2],
que d’une certaine façon, crise et inflation ont du bon? En tant que marketer,
quelle est votre opinion ?
[1] On parle
de scoring comportemental : l’identification de l’intérêt (nature et
degré) d’un visiteur en fonction de son parcours sur le site. Voire, s’il est
venu plusieurs fois, de l’ensemble de ses parcours sur une période donnée,.
[2] A dire
vrai, cette tendance s’explique aussi par l’émergence du Cloud qui facilite la
réappropriation des systèmes d’information par les opérationnels.
Philippe Guihéneuc
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