Première partie d'une série d'articles sur la négociation:
Les formes de la négociation
Préparer une négociation: la phase amont
Choisir une stratégie de négociation
Rôles et tactiques au cours d'une négociation
La conduite d'une négociation
Avertissements:
- La négociation est ici évoquée comme technique professionnelle dans un contexte d'achat/vente ou de discussion entre professionnels. Par souci de clarté, il arrive nous citions des cas tirés de la vie quotidienne: négociation sur le prix d'un logement, candidature de recrutement, discussion familiale. Il conviendra donc de faire la part des choses: si l'on négocie dans la vie de tous les jours (et parfois sur des enjeux importants), il est évidemment malsain d'utiliser un stratagème déloyal pour obtenir d'un enfant qu'il se couche, ou d'un ami qu'il vous prête sa voiture. A l'inverse, seule une minorité songerait à critiquer la vieille tactique du bon et du méchant si elle permet d'obtenir les aveux d'un criminel avéré. Les outils sont... les outils, c'est à dire ni bons, ni mauvais intrinsèquement. C'est leur finalité peut faire l'objet d'une critique morale.
- Bien sûr, la meilleure des négociations est fondée sur la sincérité et la recherche d'une solution gagnante pour toutes les parties... Malheureusement, dans ce monde imparfait sincérité et positivisme ne sont pas toujours suffisants. Il arrive aussi - pas si rarement, en fait - que votre vis-à-vis ne partage pas votre bonne volonté. C'est pourquoi il me paraît utile d'étudier la négociation sous toutes ses formes, les plus nobles comme les plus laides.
- Pour illustrer le propos sont régulièrement cités des passages de 'Saint Germain ou la négociation' de F. Walder.
Les formes de la négociation
Préparer une négociation: la phase amont
Choisir une stratégie de négociation
Rôles et tactiques au cours d'une négociation
La conduite d'une négociation
Avertissements:
- La négociation est ici évoquée comme technique professionnelle dans un contexte d'achat/vente ou de discussion entre professionnels. Par souci de clarté, il arrive nous citions des cas tirés de la vie quotidienne: négociation sur le prix d'un logement, candidature de recrutement, discussion familiale. Il conviendra donc de faire la part des choses: si l'on négocie dans la vie de tous les jours (et parfois sur des enjeux importants), il est évidemment malsain d'utiliser un stratagème déloyal pour obtenir d'un enfant qu'il se couche, ou d'un ami qu'il vous prête sa voiture. A l'inverse, seule une minorité songerait à critiquer la vieille tactique du bon et du méchant si elle permet d'obtenir les aveux d'un criminel avéré. Les outils sont... les outils, c'est à dire ni bons, ni mauvais intrinsèquement. C'est leur finalité peut faire l'objet d'une critique morale.
- Bien sûr, la meilleure des négociations est fondée sur la sincérité et la recherche d'une solution gagnante pour toutes les parties... Malheureusement, dans ce monde imparfait sincérité et positivisme ne sont pas toujours suffisants. Il arrive aussi - pas si rarement, en fait - que votre vis-à-vis ne partage pas votre bonne volonté. C'est pourquoi il me paraît utile d'étudier la négociation sous toutes ses formes, les plus nobles comme les plus laides.
- Pour illustrer le propos sont régulièrement cités des passages de 'Saint Germain ou la négociation' de F. Walder.
La négociation se présente comme un jeu aux règles complexes, une valse à mille temps, une partie d'échecs à plusieurs plateaux… Le nec plus ultra du processus commercial, son point d’orgue , qui peut consacrer – ou défaire – une carrière. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les deux appréciations suivantes et se demander laquelle est la plus valorisante : « C’est un négociateur hors pair, il a retourné cette vente stratégique pourtant compromise » ou « C’est un téléopérateur courageux, il décroche de nombreux rendez-vous » ? Tous les métiers de la vente sont nécessaires, mais de tous, le closing est le mieux rémunéré, le plus valorisé.
Deux raisons à cela. Premièrement, la négociation est la phase qui précède immédiatement la signature de l’accord. Elle s’inscrit dans un contexte généralement stressant car lourd d’enjeux. Le négociateur est celui qui récolte les lauriers de la gloire, ou les fruits amers de l’échec. Deuxièmement, et par conséquence logique, la phase de négociation engage de nombreuses qualités, de l’expérience et surtout de l’envie. Fragiles, couards, débutants ou nerveux s’abstenir. C’est un espace qui révèle les talents.
Noble métier ? On constatera qu’à la négociation est généralement associée une image des plus troubles. Les grands négociateurs de l’histoire ont d’ailleurs laissé un souvenir partagé. Mazarin, Talleyrand… On les connaît moins pour leur vision que pour leurs stratagèmes. Et si l’on en dit parfois du bien, on en pense toujours du mal. Talleyrand ne dit-il pas lui-même: « La parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée » ? En vérité, la négociation se résume entièrement à ce magnifique paradoxe : elle est une confrontation entre deux parties qui veulent travailler ensemble. Une guerre pour établir la paix…
Il a été beaucoup écrit sur le sujet. Et pas seulement des écrits savants : des auteurs aussi, qui ont utilisé les rythmes de la négociation comme moteur de la dramaturgie. A commencer par le Prix Goncourt 1958 : Francis Walder , lui-même diplomate de métier. Son roman se déroule au moment de l’accord conclu en 1570 entre le roi Charles IX et les huguenots conduits par l’Amiral de Coligny. Il met en scène les véritables protagonistes de l’affaire. Du côté du pouvoir royal, le narrateur Henri de Malassise et son ami le baron de Biron ; en face, deux gentilshommes, le comte de Mélynes et le baron D’Ublé. S’y ajoutent, au gré des négociations, Catherine de Médicis, Coligny et la propre cousine de Malassise dont le rôle équivoque n’est pas sans rappeler les règles troubles, les manigances et les fourberies de la négociation ; mais aussi son charme, sa subtilité exquise. Le récit n’est pas qu’un tableau historique romancé. Il donne de nombreux détails intéressants du jeu des négociateurs – autant d’exemples que nous utiliserons comme fil rouge tout au long de cet article.
Il ne s’agit pas ici de lister toutes les techniques et méthodes utiles dans une négociation – elles sont innombrables – mais de donner un bref éclaircissement sur une phase de vente qui reste curieusement mal connue en dépit de son importance.
Il ne s’agit pas non plus de chasser les idées reçues. D’un livre à
l’autre, on nous explique que la technique précédemment à la mode, que
l’on croyait d’une efficacité définitive, n’est en
réalité qu’un ramassis de conjectures mal maîtrisées, inapplicables
ou fautives. Plus probablement, il y a du bon à trouver dans chaque
théorie, depuis les approches scientifiques tirées des
travaux de Nash, jusqu’à la démarche constructive et raisonnée
prônée par l’école d’Harvard. Pour notre part, nous croyons que la
négociation est trop subtile pour entrer dans tiroir, si profond
soit-il. Nous y voyons une praxis qui se bonifie dans le temps par l’intégration d’idées glanées ça et là. En voici quelques unes.
Définition et théories
La négociation s’engage quand deux parties sont tombées d’accord sur l’objet d’une transaction, mais pas encore sur ses conditions.
Dans Saint Germain ou la négociation, le
diplomate Malassise est parvenu à convaincre Coligny d’accepter la
proposition du Roi de signer une trêve en contrepartie d’une liberté de
culte dans certains cas particuliers. Ce sont ces
« cas particuliers » - pour l’essentiel, les villes où les huguenots
seront libres de pratiquer leurs rites - qui font l’objet de la
négociation. C’est pourquoi commencer à négocier
avant même que chacune des parties n’ait signifié son intérêt pour
l’échange est une erreur. Par exemple, si vous êtes en situation de
vente, vous ne devez rien accepter de négocier tant que
votre prospect n’a pas clairement dit que votre offre l’intéressait –
et par là même qu’il excluait les offres concurrentes, au moins jusqu’à
aboutissement de la transaction.
A noter qu’on confond parfois les termes négociation et closing. Le
closing désigne la phase finale d’une transaction, jusqu’à la signature
de l’accord. Les deux termes sont proches, mais l’un
met l’accent sur la discussion, sur le nécessaire échange et les
compromis qu’il implique ; l’autre sur la meilleure façon de parvenir à
une heureuse conclusion.
Madame Va-t-en-guerre et Monsieur Courtois
Il existe une multitude d’écoles et de philosophies de la
négociation. Disons pour simplifier qu’elles se positionnent toutes sur
un axe dont, à chaque extrémité, on trouve le tenant d’une une
démarche jusqu’au-boutiste : d’un côté le conciliant Monsieur
Courtois, de l’autre l’intransigeante Madame Va-t-en-guerre.
- Monsieur Courtois est convaincu que pour être réussie, une négociation doit se dérouler dans un cadre respectueux et compréhensif, voire amical, où chacun doit faire preuve de bon sens et d’empathie. Sa stratégie de négociation présuppose que les efforts de bonne volonté qu’il manifeste à l’évidence encourageront son vis à vis à adopter la même attitude, pour le plus grand bienfait commun. Le succès des négociations dépend étroitement de la capacité que chaque partie a de comprendre les positions de l’autre partie et à en accepter les contraintes.
- Monsieur Courtois est convaincu que pour être réussie, une négociation doit se dérouler dans un cadre respectueux et compréhensif, voire amical, où chacun doit faire preuve de bon sens et d’empathie. Sa stratégie de négociation présuppose que les efforts de bonne volonté qu’il manifeste à l’évidence encourageront son vis à vis à adopter la même attitude, pour le plus grand bienfait commun. Le succès des négociations dépend étroitement de la capacité que chaque partie a de comprendre les positions de l’autre partie et à en accepter les contraintes.
-
Madame Va-t-en-guerre ne
voit dans la partie adverse que montagne à raser, qu’ennemis à
pourfendre. La négociation est un combat dont sortiront un vainqueur et
un perdant. Madame Va-t-en-guerre définit des objectifs à
atteindre et met tout en œuvre pour y arriver, voire pour les
dépasser. Pour caricaturale qu’elle paraisse, cette stratégie est très
fréquemment adoptée, aussi bien dans les situations
quotidiennes qu’au plus haut niveau. Dans un monde de compétition,
on a tendance à penser que la réussite passe par l’annihilation de toute
forme de contestation ou d’adversité. Pas si facile de
se débarrasser d’une vérité génétique.
Les deux marchands de glace et la théorie de Nash
Imaginons maintenant que deux marchands de glace doivent choisir un
emplacement sur une plage de longueur donnée. On prend pour hypothèse
que les prix et les produits affichés sont les mêmes.
Chaque client ira vers le marchand le plus proche de lui.
-
Dans la stratégie de
Monsieur Courtois, chaque marchand de glace se positionnera
ostensiblement à un bout de la plage. Aucun des deux n’osera entrer sur
une partie du territoire que l’autre pourrait revendiquer.
Résultat : chaque marchand de glace n’attire que la moitié de la
clientèle à laquelle il pourrait prétendre, car les clients au milieu de
la plage trouvent chacun des marchands trop éloigné
pour faire l’effort de se déplacer.
-
Dans la stratégie de
Madame Va-t-en-guerre, chaque marchand de glace s’installe fermement
au milieu de la plage, là où se situe la meilleure place possible.
Résultat : chacun des marchands n’attire qu’un quart
de la clientèle. Non seulement les clients aux bouts de la plage
sont trop éloignés, mais encore ceux qui sont au milieu de la plage se
partagent entre les deux marchands. Cette situation est
dite de « l’équilibre de Nash ». John Nash, Nobel d’économie en
1994, a défini une situation d'interaction comme stable si aucun agent
n'a intérêt à changer sa stratégie. C’est le cas
ici : si l’un des marchands se décale, il laisse le centre de la
plage à son adversaire. Il préfèrera donc rester à côté de son
adversaire, bien que ce soit la position la moins adéquate
pour la satisfaction de la clientèle.
On le voit, nos deux stratégies jusqu’au-boutistes s’apparentent à
de la non-négociation. Dans un cas comme dans l’autre, le dialogue
n’existe pas, ou il est limité. Les deux parties prennent
leur décision avant même qu’un échange ait lieu. Dans la vie de tous
les jours, les situations de négociation potentielle n’aboutissent pas
forcément à une négociation, parce que les
interlocuteurs n’imaginent pas qu’ils pourraient ouvrir le dialogue.
Ils optent pour une stratégie et s’y tiennent. Maman se fâche avec Papa
parce que ce soir encore, Papa rentre trop tard –
stratégie d’affrontement, de Va-t-en-guerre. Le lendemain, Papa
achète deux places pour aller théâtre le soir même, en vue de se faire
pardonner… Mais dans le même temps, Maman qui se sentait
coupable a préparé un bon dîner… Stratégies de deux braves Courtois.
Il suffisait sans doute d’une explication dès l’origine pour éviter
deux soirées gâchées.
1+1=3 : LES MATHEMATIQUES SELON HARVARD
De fait et comme toujours, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise stratégie a priori. Même nos jusqu’au-boutistes peuvent être dans le vrai à tour de rôle. Dans certaines situations, une franche agressivité peut avoir des résultats. Dans d’autres cas de figure au contraire, elle est contre-productive – par exemple quand les acteurs de la négociation se connaissent bien et attendent du respect les uns des autres.
Le plus souvent cependant, une négociation gagne à être raisonnée et constructive :
- raisonnée : la discussion s’appuie sur des faits objectifs et vérifiables. On écarte résolument les mouvements d’humeur et les intérêts personnels.
- constructive : on ne cherche pas l’emporter sur son adversaire, mais à bâtir une relation pérenne et profitable à chaque partie. Chacun doit sortir de la négociation en ayant le sentiment d’y avoir gagné quelque chose. C’est la fameuse relation « gagnant-gagnant » ou 1+1=3. En effet, il est plus facile d’obtenir un accord auprès d’une personne satisfaite qu’auprès d’un interlocuteur qui a le sentiment de se faire avoir.
Aussi étrange que cela puisse paraître, la démarche raisonnée et constructive n’a été formellement décrite et validée que récemment. A une époque (les années 80) où les hommes les plus riches de la planète amassaient des fortunes dans un climat moral détestable, disloquant des empires industriels, jetant à la rue des milliers d’employés, ruinant quantité de petits actionnaires, déclenchant nombre de conflits sociaux, d’enquêtes fédérales et de procès retentissants, William Ury et Roger Fisher, de l’université de Harvard, se sont fait connaître par leurs travaux sur les valeurs positives de la bonne intelligence dans tout échange. En 1981, ils publiaient Getting to yes qui reste aujourd’hui l’un des ouvrages de gestion les plus lus au monde.
En substance, Ury et Fisher insistent sur l’importance pour chaque partie d’envisager l’échange d’une façon aussi objective que possible, en s’efforçant de gommer stratagèmes et émotion des débats, pour se concentrer sur le contenu de l’échange.
Si nos deux marchands de glace s’appliquent à discuter avec objectivité, ils commenceront par reconnaître le droit de l’autre à vendre des glaces. Puis ils analyseront le terrain et parviendront ensemble à la conclusion qu’il existe une position sur la plage qui permet à chacun de toucher 100% de la clientèle possible : c’est de se situer aux quarts de la plage (l’un à gauche, l’autre à droite). Mais ils peuvent faire mieux encore. Constatant que chacun d’entre eux ne propose pas tout à fait les mêmes produits que son concurrent, ils établiront un accord de partenariat réciproque par lequel ils s’engageront à s’envoyer mutuellement des clients. Ils pourront ainsi toucher non plus une moitié de la plage, mais sa totalité, tout en respectant leurs territoires respectifs.
La stratégie win/win est donc un principe d’intérêt bien compris. Il s’agit avant tout de ne pas s’enfermer dans un mécanisme rigide qui interdit toute adaptation, mais au contraire de se placer le plus possible à la place de l’adversaire, pour mieux comprendre ses motivations et fixer des objectifs acceptables pour chaque partie. Cette empathie n’interdit pas de se battre pour faire respecter son point de vue. Car il est probable qu’en face, vos interlocuteurs procèderont de même.
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