mercredi 16 novembre 2011

Choisir une stratégie de négociation



Troisième partie d'une série d'articles sur la négociation:
Les formes de la négociation

Préparer une négociation: la phase amont
Choisir une stratégie de négociation
Rôles et tactiques au cours d'une négociation
La conduite d'une négociation

Avertissements: 
- La négociation est ici évoquée comme technique professionnelle dans un contexte d'achat/vente ou de discussion entre professionnels. Par souci de clarté, il arrive nous citions des cas tirés de la vie quotidienne: négociation sur le prix d'un logement, candidature de recrutement, discussion familiale. Il conviendra donc de faire la part des choses: si l'on négocie dans la vie de tous les jours (et parfois sur des enjeux importants), il est évidemment malsain d'utiliser un stratagème déloyal pour obtenir d'un enfant qu'il se couche, ou d'un ami qu'il vous prête sa voiture. A l'inverse, seule une minorité songerait à critiquer la vieille tactique du bon et du méchant si elle permet d'obtenir les aveux d'un criminel avéré. Les outils sont... les outils, c'est à dire ni bons, ni mauvais intrinsèquement. C'est leur finalité peut faire l'objet d'une critique morale. 
- Bien sûr, la meilleure des négociations est fondée sur la sincérité et la recherche d'une solution gagnante pour toutes les parties... Malheureusement, dans ce monde imparfait sincérité et positivisme ne sont pas toujours suffisants. Il arrive aussi - pas si rarement, en fait - que votre vis-à-vis ne partage pas votre bonne volonté. C'est pourquoi il me paraît utile d'étudier la négociation sous toutes ses formes, les plus nobles comme les plus laides.
- Pour illustrer le propos sont régulièrement cités des passages de 'Saint Germain ou la négociation' de F. Walder.



Comment prévoyez-vous de mener la négociation ? Il faut vous demander qui va dire quoi,  comment et à quel moment. Et surtout, fixer des objectifs. Les décisions stratégiques ne peuvent être prises que par un… décideur. Assurez-vous, pendant la phase de préparation, des libertés d’action dont vous disposez réellement. La première négociation est bien souvent à mener en interne.

Parmi les personnes possibles, qui est la mieux placée pour mener la négociation ? L’expérience est indispensable, elle est nécessaire notamment pour imaginer des solutions de contournement. Elle apporte aussi un certain recul face à l’échec comme au succès. D’une façon ou d’une autre, elle garantit que le négociateur ne perdra pas ses moyens à un moment crucial. Parmi les qualités nécessaires : la souplesse, la capacité d’empathie, l’imagination, et comme le dit Malassise : « (…) d’une part certains prestiges d’extérieur, d’éloquence, d’autre part un esprit d’habileté, de finesse retorse ».

Avez-vous l’expérience, disposez-vous de ces qualités ? Et surtout : avez-vous l’envie ? C’est une « immense responsabilité solitaire qui fait la gloire et le péril du négociateur », toujours selon Malassise, tandis que D’Ublé, l’un de ses adversaires, réplique : « Comment voulez-vous traiter les affaires du monde si vous hésitez sur chaque homme, sur chaque pierre, sur chaque arpent ? ». En somme, le bon diplomate est conscient des enjeux des discussions qu’il doit mener à terme, mais il sait aussi se défaire de la pression au moment opportun. Tout le monde n’apprécie pas de porter ce fardeau. 

Une fois le leader désigné, on s’attache généralement à lister les items (mapping) et définir les objectifs, puis à choisir la meilleure solution de repli, à établir concessions et contreparties, à définir les rôles, et enfin à préparer des tactiques – des stratagèmes.

Mapping des points de discussion

La négociation s’engage quand deux parties sont tombées d’accord sur l’objet d’une transaction, mais pas encore sur ses conditions. Pendant la phase de préparation, il est évidemment essentiel de lister toutes les conditions soumises à la discussion. Par exemple, si on se situe dans une négociation commerciale : les prix, les conditions de facturation et de règlement, les responsabilités de chaque partie … Une fois les conditions listées, on les triera par ordre d’importance. Par exemple, un éditeur de logiciels, qui tire l’essentiel de ses revenus de la maintenance ou de l'abonnement, met généralement la redevance annuelle comme point de discussion prioritaire.

Les objectifs

Pour chaque point, fixez des objectifs précis. Et n’oubliez pas que vous devrez probablement défendre chaque objectif – en particulier ceux que les deux parties ont classés comme prioritaires. Prenez donc le temps d’étayer solidement chaque objectif avec des arguments, des preuves, des chiffres, des faits concrets. Par exemple : à la condition « date de règlement », si vous proposez 30 jours, montrez une étude publiée par un organisme indépendant qui démontre que ce chiffre correspond à la moyenne du secteur. Et montrez-vous raisonnable. Négocier en faisant des propositions que la partie adverse ne peut pas accepter est une perte de temps.

Dans certains cas, il peut être utile de replacer la notion d’objectif, trop rigide, par une échelle : worst case, middle case et best case. Dans le cas précédent : le plancher pourrait être à 60 jours, l’objectif moyen à 30 et l’idéal et un règlement à réception de la facture. L’échelle est particulièrement utile quand vous êtes incertain du résultat à atteindre. Plus l’objectif est prioritaire, plus le plancher sera proche du score moyen. A l’inverse, les objectifs secondaires peuvent ne pas avoir de plancher (stratégie d’abandon possible de l’objectif). 

Et maintenant que vous avez fait ce travail méticuleux, utile pour avoir à l’esprit une bonne représentation de la carte de la négociation à venir… oubliez tout ce que vous venez de faire ! Ou presque. Ne gardez que l’essentiel, les principaux objectifs, et quelques échelles de valeur sur des objectifs secondaires. Car vous aurez besoin de souplesse pendant la négociation. Ne vous encombrez pas d’un carcan trop rigide.  

La meilleure solution de repli.

Une fois qu’on a les idées à peu près claires sur ses objectifs, il convient de se poser la question suivante : quid si la négociation échoue ? Si l’affaire n’aboutit pas ?

Se poser cette question est absolument essentiel. La réponse permet de situer l’enjeu de la négociation. Il faut avoir le courage de regarder en face les conséquences d’un échec, même relatif. 

Plus important encore : une fois ce douloureux travail réalisé[1], commencez à imaginer des « plans B », des solutions de rechange. Psychologiquement, savoir que vous avez un filet de secours vous mettra en position de force. Le pouvoir réel au moment d’une négociation ne tient pas à la position sociale, aux moyens, ou au statut (client/fournisseur), mais à la meilleure solution de repli dont on dispose. Il m’est arrivé de faire passer des entretiens de recrutement pendant lesquels le candidat était en position de choisir parmi plusieurs offres, toutes intéressantes de son point de vue, tandis que j’étais de mon côté dans la quasi-obligation de le convaincre de rejoindre mon client – parce que son profil correspondait parfaitement au poste et que je n’avais, moi, aucune autre piste sérieuse. 

Mieux : la connaissance de cette solution permet au négociateur avisé de déterminer plus précisément les concessions qu’il pourra faire[2]. Ainsi, dans le cas que je viens d’évoquer, le candidat peut aisément faire monter les enchères.

Enfin, la connaissance de la solution de repli permet éventuellement de prendre la décision de ne pas négocier. On peut en effet s’apercevoir que l’on a une solution plus simple, ou plus économique, à ne pas ouvrir des négociations qui peuvent coûter du temps et de l’argent.

La meilleure solution de repli est la seconde arme fatale du négociateur (la première est de disposer d’un champion caché dans l’équipe adverse). Elle comporte cependant un danger : avec un tel filet de secours, on est plus « facile ». Or la facilité n’a pas que des avantages. Un peu de stress n’est pas mauvais en négociation. Il convient donc que la solution de repli envisagée soit objectivement atteignable, mais de peu d’intérêt.

Concessions et contreparties

Il n’est pas dit que vos adversaires discutent de tous les points de la négociation. Ils peuvent délibérément – ou pas – en oublier quelques uns. Quoi qu’il en soit, préparez-vous comme si vous aviez à faire face à une discussion serrée sur chacun des points que vous avez identifiés.
Pour chaque point, établissez des concessions possibles, et classez-les soigneusement. Attachez-y systématiquement des contreparties. La recherche de contreparties est un travail délicat qui demande de l’imagination. Faute de contrepartie intelligente – C'est-à-dire adaptée à la situation -, vous risquez de devoir faire des compromis mous. Du type de ceux qu’on trouve sur tous les marchés de tapis du monde, où la négociation consiste à trouver un prix compris entre les valeurs annoncées entre l’acheteur et le vendeur. Robert Lowell (Démocratie) : « Un compromis fait un bon parapluie, mais un mauvais toit ».
Classez les contreparties par ordre d’importance, en attachant les plus intéressantes aux concessions les plus dures à accepter. Par exemple : une remise contre une avancée de trésorerie, laquelle ne dérange pas forcément l’interlocuteur qui a une trésorerie pléthorique.

A suivre: gérer les situations spéciales


[1] Douloureux et difficile : on a naturellement tendance à s’inventer de belles solutions de repli (« Si je n’ai pas ce job, j’en aurai d’autres »).
[2] On ne mentionnera évidemment pas la meilleure solution de repli mais on en décrira une version améliorée. Par exemple, le candidat qui n’a pas d’autre proposition d’emploi mais qui a passé des entretiens parlera de « pistes sérieuses », quand bien même il n’a reçu aucun gage.

Philippe Guihéneuc View Philippe GUIHENEUC's profile on LinkedIn


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