lundi 21 novembre 2011

Tactiques et stratagèmes lors d'une négociation


Quatrième partie d'une série d'articles sur la négociation:
Les formes de la négociation

Préparer une négociation: la phase amont
Choisir une stratégie de négociation
Rôles et tactiques au cours d'une négociation
La conduite d'une négociation

Avertissements: 
- La négociation est ici évoquée comme technique professionnelle dans un contexte d'achat/vente ou de discussion entre professionnels. Par souci de clarté, il arrive nous citions des cas tirés de la vie quotidienne: négociation sur le prix d'un logement, candidature de recrutement, discussion familiale. Il conviendra donc de faire la part des choses: si l'on négocie dans la vie de tous les jours (et parfois sur des enjeux importants), il est évidemment malsain d'utiliser un stratagème déloyal pour obtenir d'un enfant qu'il se couche, ou d'un ami qu'il vous prête sa voiture. A l'inverse, seule une minorité songerait à critiquer la vieille tactique du bon et du méchant si elle permet d'obtenir les aveux d'un criminel avéré. Les outils sont... les outils, c'est à dire ni bons, ni mauvais intrinsèquement. C'est leur finalité peut faire l'objet d'une critique morale. 
- Bien sûr, la meilleure des négociations est fondée sur la sincérité et la recherche d'une solution gagnante pour toutes les parties... Malheureusement, dans ce monde imparfait sincérité et positivisme ne sont pas toujours suffisants. Il arrive aussi - pas si rarement, en fait - que votre vis-à-vis ne partage pas votre bonne volonté. C'est pourquoi il me paraît utile d'étudier la négociation sous toutes ses formes, les plus nobles comme les plus laides.
- Pour illustrer le propos sont régulièrement cités des passages de 'Saint Germain ou la négociation' de F. Walder.




Qui : les rôles.

Une table de négociation se déroule rarement à deux. Le plus souvent, interviennent différentes compétences à qui l’on demande d’apporter une pierre à l’édifice des arguments. Dans la mesure où votre équipe comporte plusieurs profils, autant en profiter pour leur attribuer un rôle.
-          Le leader : ce n’est pas forcément vous ! Vous trouverez peut-être utile de rester dans l’ombre. « Deux catégorie de personnes composent souvent les ambassades. Ceux qui présentent et ceux qui agissent. Les uns paradent, discourent, les autres discutent à l’écart le fond du problème, et tranchent les compromis »[1].
-          Le gentil : il est votre « Monsieur Courtois ». Il se rangera toujours du côté des arguments déployés par votre adversaire. Son rôle est de faciliter les échanges. Vous pourrez notamment l’utiliser pour rétablir une situation compromise, en l’envoyant secrètement négocier avec son homologue d’en face.
-          L’observateur. Il ne participe pas aux débats et se concentre sur tous les détails qui auraient pu vous échapper.
-          L’intransigeant. A la façon de Madame Va-t-en guerre, il refuse tout compromis. C’est lui qu’on charge d’annoncer les propositions extravagantes.

L’avantage des rôles est que chaque rôle peut être utilisé pour une phase de la négociation et  abandonné par la suite, une fois son office rempli. « Se trop ériger en négociateur n’est pas toujours la meilleure qualité pour une négociation », dixit le Cardinal de Retz, qui fut l’un des adversaires les plus farouches de Mazarin (et donc à bonne école).

Les tactiques et stratagèmes.

La négociation ressemble, par bien des aspects, à un jeu de cartes. Au moment de commencer, chaque équipe reçoit de bonnes et de mauvaises cartes. On sait d’avance que, selon toute probabilité, il faudra en abandonner quelques unes. Mais lesquelles ? A quelle occasion ? Et pour quel résultat ?
Par opposition à la stratégie qui détermine les objectifs de la négociation et les grandes lignes pour y parvenir, la tactique se place au cœur de l’action. Mon adversaire vient de sortir un valet, vais-je jouer l’as ou le 8 ? Il existe deux sortes de tactiques : celles qu’on mène sans chercher à les déguiser, et les autres. Lorsqu’on veut manœuvrer dans l’ombre ou manipuler l’adversaire, on parle de stratagème.

Certains peuvent être envisagés de prime abord, dans la préparation. A trois conditions :
-          Nous déconseillons formellement l’usage de stratagèmes malhonnêtes (cf le billet suivant « Conduire la négociation »). Ils sont rarement efficaces et se retournent le plus souvent contre soi.
-          Certains stratagèmes peuvent être préparés, d’autre pas. Ainsi, la Division peut être imaginée et conduite à l’avance, tandis que l’usage de la Menace sera plutôt un outil utilisé en cours de négociation, selon le cours suivi par les débats.
-          Etant donné qu’il est rare qu’une négociation suive le cours imaginé pendant sa préparation, un stratagème devra être appliqué très rapidement dans l’évolution des débats.

Voici quelques tactiques et stratagèmes d’usage courant.
-          La flatterie. Quand elle est bien faite, elle est d’une efficacité redoutable. Quand sa cousine entre dans le jeu de la négociation et caresse son ego pour le déstabiliser, Malassise n’est pas dupe, pourtant il se laisse prendre[2] : « Va, va toujours, pensais-je. Flatte et cajole, je sais où tu veux en venir. – Mais tout en me méfiant, je ressentais l’agrément de ces paroles, et j’en savais gré à ma cousine. Tel est le danger de la flatterie, qui perce toutes les cuirasses ».
-          Le bon et le méchant. On trouve ce procédé vieux comme le monde dans tout polar digne de ce nom. Peu importe : en situation, ce stratagème est toujours performant.
-          La proposition extravagante. Il s’agit de démarrer « haut », par une proposition très élevée, inacceptable, qu’on présentera comme un brouillon : « Et que diriez-vous si… ». Pour que cette tactique fonctionne, il faut que la proposition soit élevée mais pas déraisonnable, car il faudra la justifier. Faire des propositions fantaisistes est une variante qui a pour objectif de tester les limites de solutions de contournement possibles.
-          L’Avertissement. Lorsque Coligny refuse le principe d’une liberté de culte « limitée », Malassise lui expose le risque qu’il a à refuser, tout précisant immédiatement qu’une telle situation n’apporterait pas plus de satisfaction au camp catholique qu’aux huguenots. Malassise ne menace pas – ce qui pourrait conduire à la rupture du dialogue -, il avertit. Nuance subtile mais d’importance, car quand il présente ensuite les avantages de sa proposition, ils sont mis en valeur par les inconvénients d’un éventuel refus.
-          Le Bluff. Stratagème dangereux, en ce sens que s’il échoue, vos adversaires s’apercevront immédiatement que vous avez cherché à les berner, ce qui vous ôtera toute crédibilité. Mais s’il réussit, ils risquent de s’en apercevoir plus tard, et l’accord peut être remis en cause..
-          Diviser pour régner. Exploiter les désaccords ou en créer (« Votre collaborateur m’a pourtant dit… »).
-          Le Pilonnage. Batterie de questions assénées tour à tour par les différents membres de votre équipe, pour trouver la faille dans l’argumentation ennemie. A un intérêt particulier quand l’un des membres de l’équipe adverse est fragile et qu’il est seul capable de répondre à certaines questions.
-          L’essaimage. On simule une division au sein de son propre camp, par exemple sur les objectifs, les concessions ou les contreparties. Dans Saint Germain ou la négociation, les deux diplomates huguenots feignent un désaccord sur le choix des villes qui doivent passer sous le contrôle protestant. L’un veut Angoulême, l’autre Sancerre. Tactique qui déstabilise le camp catholique et le pousse à satisfaire aux deux exigences – et non pas une seule – pour conclure un accord.
-          Le discours fleuri. Consiste à émettre des affirmations floues, faire des sous-entendus. Il arrive en effet que la situation soit si tendue que quelque mot que l’on emploie, il risque d’être compris de travers. Saint Germain ou la négociation offre un exemple de style paraphrasé, quand Malassise rencontre inopinément son adversaire D’Ublé dans un parc. « J’ai toujours cru nécessaire, dit-il, d’avoir quelque intérêt extérieur à mon métier, qui m’en divertisse et me repose. Ne trouvez-vous pas qu’il est impossible de garder l’esprit sans cesse fixé sur ces réalités sèches et pratiques dont nous avons à débattre ? Parfois il devient impérieux de se plonger dans des pensées plus vagues, plus subtiles, plus élevées ». Ce qu’il faut comprendre par : quoique nous soyons adversaires, pourquoi ne serions-nous pas amis ? Rien ne s’oppose à ce que nous devisions de sujets d’intérêt général.
-          L’absent a tort. Pour recueillir le plus d’informations possibles de quelqu’un, le faire parler d’un autre. Malassise s’essaie pendant une heure à tirer les vers du nez de son interlocuteur D’Ublé, qu’il a pu rencontrer en secret. En vain, d’Ublé ne se livre pas. Mais quand Malassise en vient à évoquer le nom de l’autre plénipotentiaire de la partie huguenote, D’Ublé devient d’un coup loquace et, sous l’apparence de flatteries, lance piques sur piques sur son partenaire et néanmoins rival.

Il faudra aussi consacrer du temps à réfléchir à la stratégie concoctée par ses adversaires. Se demander s’il dispose d’un champion dans notre place, et quelle est sa meilleure solution de repli. Se demander comment il va organiser ses troupes, quels objectifs il va se fixer, comment il va argumenter et quelles objections pourront lui être faites. Bref, parcourir une nouvelle fois le chemin ci-dessus, mais en se mettant à sa place – ce qui n’est pas moins ardu.

Enfin, il peut s’avérer utile de sonder la partie adverse sur tel point de stratégie sur lequel on a des doutes. On interrogera discrètement un membre de l’équipe d’en face en suggérant telle ou telle disposition que l’on imagine de mettre à l’ordre du jour : « Et que diriez-vous si… » (expression favorite des négociateurs). Cette tactique peut aussi être tournée en stratagème. Il suffit de suggérer une fausse piste, sous couvert d’un innocent sondage d’opinion.

Manager ses troupes

Imaginez qu’au cours d’une négociation, l’un des membres de votre équipe se mette brutalement à ne plus suivre la stratégie que vous aviez déterminé ensemble. Par exemple, vous avez convenu entre vous que vous alliez annoncer une proposition à 5€ l’unité. Or, votre bras droit vous a précédé et, sans vous consulter, annonce 7€. Pire, il refuse catégoriquement de descendre en dessous de 6. Son attitude vous fait courir le risque de casser la négociation avant même qu’elle ait commencé. De plus, il ne respecte pas le mot d’ordre. Que ferez-vous ? Allez-vous le condamner publiquement ? Pendant la négociation, il est indispensable que cette situation ne se produise pas. Préalablement à la première table ronde, prenez le soin de bien vous assurer que les règles du jeu sont claires pour tous vos collaborateurs. Par la suite, si l’un d’entre eux dévie fortement du chemin tracé, c’est sans doute qu’il a de bonnes raisons. Peut-être a-t-il surpris une conversation dont il n’a pas pu vous parler.
Chaque membre de l’équipe doit avoir une confiance totale dans ses partenaires. La confiance se travaille longtemps à l’avance. Encouragez vos équipiers à discuter dans un cadre neutre et convivial (restaurant, bar). Ils doivent apprendre à se connaître. Vous pouvez aussi recourir à des exercices et des simulations pour augmenter le niveau de confiance dans votre groupe.

Créer un environnement favorable

Plus la négociation compte de participants, plus elle est difficile. Tâchez par tous les moyens de limiter les équipes, quitte à faire ponctuellement appel à l’un ou l’autre pour résoudre un point de blocage.
De même que vous encouragerez vos partenaires à mieux se connaître, faites votre possible, avant la phase de négociation, pour lier connaissance avec vos adversaires. Déjeunez ou dînez avec eux, échangez sur des sujets connexes sur lesquels vous pourrez trouver des points d’affinité. Benjamin Franklin demandait toujours à ses interlocuteurs s’ils pouvaient lui prêter un livre, ce qui les mettait en situation d’avoir rendu service - un état d’esprit positif. Talleyrand n’était pas en reste: « Le meilleur auxiliaire d’un diplomate, c’est bien son cuisinier ».
Les réunions se tiendront-elles chez vous ou chez eux ? Les spécialistes sont partagés sur ce sujet. Tâchez d’organiser la réunion dans vos propres locaux si vous vous sentez en position de faiblesse en terme d’expérience. Vous y serez plus à l’aise, il vous y sera plus facile d’y gérer vos tactiques et vous pourrez plus facilement faire appel à des spécialistes. D’une façon ou d’une autre, vous aurez une meilleure maîtrise du jeu.
Mais certains professionnels de la négociation privilégient les locaux de la partie adverse… Ils peuvent en effet utiliser ce qui est au départ un point faible comme argument pour négocier des objectifs majeurs et imposer leur volonté.
Proposez un ordre du jour et tâcher de vous y tenir. Associez-y des horaires. N’hésitez pas à accrocher une pendule au mur, bien en évidence.


[1] Saint Germain ou la négociation, de Francis Walder
[2] Ibid.

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