mercredi 30 novembre 2011

La conduite d'une négociation


Cinquième partie d'une série d'articles sur la négociation:
Les formes de la négociation
Préparer une négociation: la phase amont
Choisir une stratégie de négociation
Rôles et tactiques au cours d'une négociation
La conduite d'une négociation

Avertissements: 
- La négociation est ici évoquée comme technique professionnelle dans un contexte d'achat/vente ou de discussion entre professionnels. Par souci de clarté, il arrive nous citions des cas tirés de la vie quotidienne: négociation sur le prix d'un logement, candidature de recrutement, discussion familiale. Il conviendra donc de faire la part des choses: si l'on négocie dans la vie de tous les jours (et parfois sur des enjeux importants), il est évidemment malsain d'utiliser un stratagème déloyal pour obtenir d'un enfant qu'il se couche, ou d'un ami qu'il vous prête sa voiture. A l'inverse, seule une minorité songerait à critiquer la vieille tactique du bon et du méchant si elle permet d'obtenir les aveux d'un criminel avéré. Les outils sont... les outils, c'est à dire ni bons, ni mauvais intrinsèquement. Seule leur finalité peut faire l'objet d'une critique morale. 
- Bien sûr, la meilleure des négociations est fondée sur la sincérité et la recherche d'une solution gagnante pour toutes les parties... Malheureusement, dans ce monde imparfait sincérité et positivisme ne sont pas toujours suffisants. Il arrive aussi - pas si rarement, en fait - que votre vis-à-vis ne partage pas votre bonne volonté. C'est pourquoi il me paraît utile d'étudier la négociation sous toutes ses formes, les plus nobles comme les plus laides.
- Pour illustrer le propos sont régulièrement cités des passages de 'Saint Germain ou la négociation' de F. Walder.

Conduire une négociation


Conduite de la négociation

La présentation physique est importante. Pour être persuasif, il peut être utile de cultiver la première impression : tenue vestimentaire, sourire chaleureux, poignée de main ferme…

Attention aussi aux règles élémentaires d’une réunion :
-          arriver à l’heure
-          éteindre son portable, éviter les interruptions sauf si elles font partie de votre stratégie
-          ne jamais se contredire entre participants du même bord.
-          Prendre des notes, à la fois pour montrer que l’on est attentif, garder trace de ce qui sera dit et montrer qu’on ne laissera rien passer.
-          Eviter d’interrompre un interlocuteur
-          Eviter de monopoliser la parole (la concision est une règle d’or en négociation)
-          Ne jamais s’énerver : on peut feindre l’agacement mais il faut rester maître de ses émotions.

Ecouter
L’écoute est essentielle. Elle doit être profonde. On a généralement tendance à réfléchir à la réponse qu’on va faire avant même que notre interlocuteur ait fini.
Demandez le plus d’éclaircissement possible à la parte adverse sur ses positions et ses propositions. Discutez point à point. Retardez au maximum toute concession. Demandez pour chaque concession une explication, que vous creuserez le plus possible. Multipliez les objections, mais uniquement des objections fondées. Sans agressivité ni mauvaise foi. N’ayez pas peur d’accepter les arguments des autres, s’ils vous semblent justes. Ecoutez attentivement leurs idées, même celles qui paraissent fantaisistes. Votre adversaire ne cherche pas obligatoirement à vous piéger. Au contraire, il peut s’inscrire dans une démarche constructive, dont vous avez à profiter. Vous n’êtes pas seul à chercher des solutions qui puissent arranger les deux parties. Ne craignez donc pas d’admettre que l’adversaire a raison quand c’est le cas.
Soyez attentif aux réactions et attitudes des autres : regards qui se voilent d’ennui, comportements agressifs, bras qui se croisent… A propos d’un tic qu’il a observé chez son adversaire, Malassise peut prévoir ses réactions à venir[1] : « Je sus bientôt, selon l’angle dont il redressait cet organe combatif, l’importance qu’il accordait aux questions. Cela me servit, comme à ces bretteurs qui prévoient la botte de l’adversaire d’après la position de ses pieds ».
N’oubliez pas non plus, dans votre observation de la partie adverse, que dans une négociation à plusieurs, les adversaires se jugent entre eux. Que leur attitude, leurs décisions, sont bien souvent influencées non seulement par le débat qu’ils ont avec vous, mais aussi par celui qu’ils mènent en interne.
Montrez le plus souvent possible que vous avez écouté et compris. Montrez ostensiblement que vous prenez des notes. Hochez la tête. Usez de la reformulation : « Si je vous ai bien compris… ». En revanche, évitez de montrer vos réactions, sauf si la stratégie l’impose. Maîtrisez l’image que vous donnez aux autres. C’est une chose de leur dire que vous avez pris connaissance de leurs revendications ; c’en est une autre que de leur laisser croire qu’elles vous conviennent.
Parler
Parlez lentement, de façon claire et concise. On affiche ainsi la confiance qu’on a dans ses idées. Talleyrand : « On ne croit qu’en ceux qui croient en eux ». La concision a un autre avantage : elle évite de commettre un impair. Craignez le « mot de trop ».
N’exposez pas la proposition avant d’en avoir présenté les arguments. Si on commence par « le prix est de 10€ » sans avoir expliqué que la durée de vie du produit, deux fois supérieure, justifie un prix 20% plus élevé, on ne sera pas écouté.
Dans le courant de la conversation, allez de l’avant. Ne ramenez pas sur la table les petites vexations, les incidents qui ont pu poser problème dans le passé, erreurs des uns et des autres, blocages divers… Vous pourrez décider de revenir sur une décision prise, mais évitez d’évoquer les circonstances.

En situation

Il n’existe pas de négociation qui se déroule selon le plan prévu. On commence en présentant ses objectifs dans l’ordre assigné, selon les voies préparées. Mais l’adversaire en fait de même. Soit les objectifs d’un point de discussion donné coïncident, auquel cas on passe rapidement au point suivant ; soit ils s’opposent. Il faut alors faire preuve de patience et d’adaptation, en utilisant une pause, en discutant d’un compromis ou en cherchant une solution de contournement.
Présentation des arguments
La technique la plus efficace pour présenter ses propositions est d’aborder les points un à un. On commencera par traiter les questions les plus faciles, celles pour lesquelles chacun s’accorde. Cela donne une bonne base de compréhension et de satisfaction. Puis la route s’élève à mesure qu’on aborde les points les plus délicats. Walder : « L’art diplomatique s’accommode volontiers de reporter à plus tard une question épineuse ». On aura soin d’avoir gardé dans sa musette quelques points faciles à traiter, pour relâcher un peu l’atmosphère quand la négociation devient trop difficile.
Les pauses
Evitez de dépasser deux heures de débat sans pause… sauf à vouloir faire craquer physiquement vos adversaires, ce qui n'est pas seulement déloyal mais dangereux. La pause est utile à maints égards. Elle permet à chacun de souffler. De reprendre des forces et ses esprits. Donc de redevenir plus objectif. Elle facilite les rencontres « dans le couloir ». Enfin, elle permet de vérifier si les arguments de l’adversaire sont fondés.
Dans Saint Germain ou la négociation, après plusieurs jours de discussions, Henri de Malassise prend conscience que son plan aboutit à une impasse parce que ses adversaires sont divisés entre eux. Il décide qu’une pause est nécessaire : « Mon plan devenait caduc, il me fallait en préparer un autre ».
Refus
Un refus ne doit pas être pris pour définitif. Eprouvez d’abord la résistance de vos adversaires en présentant les aspects positifs d’un oui et les conséquences négatives d’un non. S’ils persistent, laissez-les avancer leur propre proposition. On pourra alors chercher un compromis (concession/contrepartie). En cas de désaccord flagrant, on cherchera une solution de contournement.
Blocage
Quand on est confronté à un blocage, c'est-à-dire un refus prolongé, il n’y a que trois solutions : imaginer une solution de contournement, reporter la décision à plus tard et avancer sur d’autres points, ou rompre les négociations.
Parmi ces trois issues, la première est évidemment à privilégier. Reste qu’elle demande une dose d’imagination. Les principaux freins à l’imagination de solutions de contournement sont les jugements hâtifs, l’idée que le jeu est à somme nulle, qu’il n’existe qu’une solution, que le gâteau est limité et que les difficultés des autres ne regardent qu’eux. Pour trouver une solution de contournement, le mieux est d’approfondir les sources du blocage. Pourquoi bloquez vous ?
Si on ne trouve pas de solution de contournement, proposez des séances individuelles. Il n’est pas rare que le blocage vienne en effet de ce que les participants n’osent se lâcher devant leurs partenaires. Une pause dans le processus, avec des réunions « dans les couloirs », peut alors avoir un effet bénéfique.
Autres techniques pour contourner un blocage : organiser un brainstorming avec un spécialiste ; découper le problème en une multitude de petits problèmes, et tâcher de résoudre l’équation pour le plus grand nombre d’entre eux - on aura ainsi une solution partielle et les participants auront le sentiment d’œuvrer dans le bon sens.

A suivre...

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[1] Saint Germain ou la négociation, de Francis Walder

Philippe Guihéneuc View Philippe GUIHENEUC's profile on LinkedIn


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