Sixième partie d'une série d'articles sur la négociation:
Les formes de la négociation
Préparer une négociation: la phase amont
Choisir une stratégie de négociation
Rôles et tactiques au cours d'une négociation
La conduite d'une négociation
Avertissements:
- La négociation est ici évoquée comme technique professionnelle dans un contexte d'achat/vente ou de discussion entre professionnels. Par souci de clarté, il arrive nous citions des cas tirés de la vie quotidienne: négociation sur le prix d'un logement, candidature de recrutement, discussion familiale. Il conviendra donc de faire la part des choses: si l'on négocie dans la vie de tous les jours (et parfois sur des enjeux importants), il est évidemment malsain d'utiliser un stratagème déloyal pour obtenir d'un enfant qu'il se couche, ou d'un ami qu'il vous prête sa voiture. A l'inverse, seule une minorité songerait à critiquer la vieille tactique du bon et du méchant si elle permet d'obtenir les aveux d'un criminel avéré. Les outils sont... les outils, c'est à dire ni bons, ni mauvais intrinsèquement. Seule leur finalité peut faire l'objet d'une critique morale.
- Bien sûr, la meilleure des négociations est fondée sur la sincérité et la recherche d'une solution gagnante pour toutes les parties... Malheureusement, dans ce monde imparfait sincérité et positivisme ne sont pas toujours suffisants. Il arrive aussi - pas si rarement, en fait - que votre vis-à-vis ne partage pas votre bonne volonté. C'est pourquoi il me paraît utile d'étudier la négociation sous toutes ses formes, les plus nobles comme les plus laides.
- Pour illustrer le propos sont régulièrement cités des passages de 'Saint Germain ou la négociation' de F. Walder.
"J’ai toujours observé qu’en négociation l’élément imprévu était de précieux rapport pour qui sait s’en servir"(1)Les formes de la négociation
Préparer une négociation: la phase amont
Choisir une stratégie de négociation
Rôles et tactiques au cours d'une négociation
La conduite d'une négociation
Avertissements:
- La négociation est ici évoquée comme technique professionnelle dans un contexte d'achat/vente ou de discussion entre professionnels. Par souci de clarté, il arrive nous citions des cas tirés de la vie quotidienne: négociation sur le prix d'un logement, candidature de recrutement, discussion familiale. Il conviendra donc de faire la part des choses: si l'on négocie dans la vie de tous les jours (et parfois sur des enjeux importants), il est évidemment malsain d'utiliser un stratagème déloyal pour obtenir d'un enfant qu'il se couche, ou d'un ami qu'il vous prête sa voiture. A l'inverse, seule une minorité songerait à critiquer la vieille tactique du bon et du méchant si elle permet d'obtenir les aveux d'un criminel avéré. Les outils sont... les outils, c'est à dire ni bons, ni mauvais intrinsèquement. Seule leur finalité peut faire l'objet d'une critique morale.
- Bien sûr, la meilleure des négociations est fondée sur la sincérité et la recherche d'une solution gagnante pour toutes les parties... Malheureusement, dans ce monde imparfait sincérité et positivisme ne sont pas toujours suffisants. Il arrive aussi - pas si rarement, en fait - que votre vis-à-vis ne partage pas votre bonne volonté. C'est pourquoi il me paraît utile d'étudier la négociation sous toutes ses formes, les plus nobles comme les plus laides.
- Pour illustrer le propos sont régulièrement cités des passages de 'Saint Germain ou la négociation' de F. Walder.
Résoudre un litige quand les deux parties sont de bonne volonté
La négociation parfaite, basée sur un respect mutuel et la stricte observance de règles d'échange basées sur la sincérité et l'objectivité, et aboutissant sans accroc à un accord gagnant pour les deux parties, n'est malheureusement pas chose courante. Le plus souvent se glissent pendant la négociation des situations difficiles, de blocage. Pour la dénouer il faut un peu de méthode, au risque d'aboutir à une paralysie totale.
1- Commencez par rappeler les faits : « sauf erreur de ma part ».
2- Faites comprendre à votre interlocuteur que vous êtes prêts à un affrontement mais que vous préférez l’éviter. Expliquez votre position : « Personne n’aime à penser qu’il fait une mauvaise affaire. Nous voulons faire une affaire juste, ni plus, ni moins. Il s’agit donc seulement d’établir les bases de ce que peut être une affaire juste, une bonne affaire pour les deux parties ».
3- Pour chaque point de litige, ne pas affirmer une position mais poser des questions. Circonvenir le problème.
4- Ne prenez pas de décision sur l’instant. Donnez-vous le temps de réfléchir.
Si le blocage se prolonge mais que les deux parties reconnaissent vouloir trouver un compromis, on peut faire nommer un négociateur tiers et neutre, un conciliateur. Lequel utilisera probablement la procédure du texte unique. Plutôt que de partir des propositions et drafts de contrats émis pas chaque partie, il écoutera soigneusement les arguments puis proposera un premier texte, puis un second etc. jusqu’à conclusion d’un accord.
Les situations anormales
Il arrive que la partie adverse refuse de négocier selon les règles de l'art. On se situe alors dans une 'situation spéciale'. Il en existe plusieurs sortes, définies par le 'style' du négociateur, que nous allons détailler dans cet article.
Le négociateur brutal
Le négociateur brutal est un rustre qui, pour une raison ou une autre, pense qu'il obtiendra plus s'il demande avec une massue. Le négociateur brutal est un bon ami de Madame Va-t-en-guerre. Un exemple célèbre est celui de Nikita Khroutchev qui, en introduction à la crise des missiles de Cuba, avait utilisé son soulier pour taper son pupitre à la tribune des Nations Unies avant de déclarer : « Ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous est négociable ».
Comment négocier avec une brute ? La première règle, la plus importante parce qu'elle vous permettra probablement de débloquer la plupart des situations, consiste à tâcher de déterminer si cette attitude est volontaire, ou le fruit d'une ignorance des us et coutumes de la négociation. Quel est l'intérêt de la brute à refuser la discussion? La réticence adverse peut venir d'une incompréhension, d'un manque de communication. Il suffit alors d'installer l'échange. Curieusement, le plus féroce des ours s'attendrit devant un pot de miel. Il peut aussi s'agir d'un moyen pour le négociateur en face de vous de justifier son rôle aux yeux de sa propre équipe. Dans ce cas, laissez faire. Une fois le grognement passé, on pourra entrer dans une relation sereine, ou pour le moins, normale.
Mais s'il s'avère que le blocage est un comportement délibéré pour asseoir une position de force, que la brute n'est brute qu'en apparence, il n'y a pas d'autre moyen que de refuser avec fermeté, en faisant passer le message que notre solution de repli vous autorise à ne pas entrer dans un jeu déséquilibré. Ensuite seulement, quand la partie adverse a pris conscience qu'elle se dirige vers un échec, proposez un compromis, que votre interlocuteur saisira comme une chance de rétablir la situation : négociation secrète, intervention d’un tiers, discussion par courrier… En tout état de cause, il est déconseillé de céder aux exigences préalables à la négociation sans mettre en avant ses propres exigences (par effet miroir).
Le négociateur pervers
Un négociateur pervers est un être relativement amoral, voire immoral, persuadé que l'usage de stratagèmes déloyaux lui sera d'un plus grand bénéfice qu'une discussion sincère et objective.
Face à ce type de personnage, la première des recommandations est de rester calme. Faites comprendre que vous n’êtes pas dupe – mais évitez la confrontation brutale (« Vous vous fichez de moi ? » ne donnera pas d'autre résultat qu'un masque d'étonnement).
Voici quelques stratagèmes déloyaux et quelques moyens de les contrer.
- Le mensonge délibéré. Vérifiez tous les arguments et informations communiqués par la partie adverse. Si vos interlocuteurs constatent que vous ne vous contentez pas de leurs assertions, ils seront moins tentés de mentir.
- Les promesses fallacieuses. Un homme politique affirmait que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Dans les closings commerciaux, on voit souvent l’acheteur promettre monts et merveilles. « Je sais que notre maison-mère s’intéresse de très près à notre projet. J’ai déjà évoqué votre nom à notre PDG. Après la signature, je pourrais vous le faire rencontrer ». Demandez des précisions, des preuves (dans l’exemple ci-dessus, une copie des emails échangés entre votre interlocuteur et son PDG). Puis, le cas échéant, obtenez de votre adversaire qu’il reconnaisse la réalité des faits (« Vous reconnaîtrez avec moi qu’en l’état actuel de ce que vous nous proposez, nous ne pouvons pas inclure ces éléments comme valeur d’échange. Bien sûr, nous sommes prêts à étudier toute nouvelle information en la matière que vous voudrez bien nous communiquer »).
- La menace. Parade : répondre qu’on ne travaille pas sous la menace, puis immédiatement enchaîner sur un point constructif. Si la menace persiste, faites remarquer à votre interlocuteur que son attitude pourrait mener à l’échec des négociations, ce que personne ne souhaite. « Est-ce ainsi que vous concevez la relation avec nous ? Doit-on en comprendre que par la suite, vous continuerez en permanence à nous menacer ? Doit-on prendre en compte votre attitude comme une constante dans nos relations futures ? Car, croyez-le bien, cela changerait considérablement notre point de vue sur la valeur de l’échange ». Valeriu Butulescu (écrivain et essayiste roumain) : « Avant de négocier avec le loup, mets-lui une muselière ».
- L'affront (mettre en doute, critiquer, sous-estimer, attaquer sur des points annexes ou personnels…). Ce sont les attaques personnelles… Ne vous en offusquez pas et concentrez-vous sur les faits, sur la recherche de solutions constructives, quoi qu’il en coûte à votre ego.
- L'intimidation. Vos interlocuteurs vous font attendre, vous reçoivent dans de mauvaises conditions (ils ne vous servent pas d’eau, vous font attendre debout …), ils répondent aux appels et s’absentent sans mot dire en cours de réunion, regardent par ailleurs en évitant soigneusement de croiser vos yeux… Il existe des centaines de ces tristes manœuvres, doublement stressantes. Car on est déstabilisé, ce qui pousse à trop parler. Feignez l’indifférence. Relisez vos notes, votre dossier. Personnellement, je vais jusqu'à ouvrir un livre ou mon ordinateur, ce qui surprend suffisamment mon interlocuteur - et le vexe juste assez pour rétablir un semblant d'équilibre. Evitez absolument de vous énerver, de montrer des signes d’agacement, en somme d’agir comme vos adversaires s’attendent à ce que vous fassiez.
- Le saumon. Le stratagème du saumon consiste, si l’on consent à un compromis, à demander en échange que l’on revienne sur une décision qui a précédemment été actée, au principe qu’elle doit être revue à la lumière des arguments qui ont conduit au compromis. Bref, un pas en avant, deux pas en arrière, en vue d'aboutir à perdre le négociateur que vous êtes dans un entrelacs de calculs où vous n'avez plus de vision globale de la situation. Il convient simplement de refuser de revenir sur une décision qui a été actée, quelque soit l'argument développé. Ce qui a été décidé a été décidé.
- Les dés sont jetés. Prenons l’exemple de la confrontation imaginée par Thomas Schelling. Deux conducteurs se défient en fonçant l’un vers l’autre. Le perdant est celui qui écarte son véhicule pour éviter la collision. Dans la stratégie des dés jetés, l’un des conducteurs arrache son volant et le jette par la fenêtre. L’autre n’a que deux solutions : s’écarter de sa route ou accepter le choc. La stratégie des dés jetés est fréquemment utilisée par les syndicats qui, en période de grève, annoncent publiquement qu’ils ne cèderont pas à moins que le gouvernement accepte leurs exigences. Par leur déclaration, ils s’enferrent eux-mêmes dans la contrainte : ils n’ont plus d’autre choix que de réussir, donc le gouvernement de céder. On peut parer les dés jetés en tâchant de diminuer la portée des propos : « Vous avez annoncé un objectif. Nul ne peut prétendre à atteindre tous ses objectifs ». Quand ce n’est pas possible, il est préférable de se retirer, de faire échouer la négociation en proposant qu’elle reprenne sur d’autres bases, éventuellement avec d’autres acteurs. « Soyez à leur pied… A leurs genoux… Mais jamais dans leurs mains » (Talleyrand).
- L’assistant. Si vous vous rendez compte en cours de route que vous négociez avec un non-décideur, validez l’intérêt de l’interlocuteur puis proposez de négocier avec le décideur.
- La temporisation. L’adversaire gagne du temps, fait reculer la décision. Si le temps joue objectivement en sa faveur, il faut chercher à en limiter les effets et trouver des critères objectifs pour que la négociation s’inscrive dans un timing précis.
- L'affectif. Si un interlocuteur fait appel à des sentiments ou exprime un affect, écoutez-le religieusement mais refusez d’entrer dans son jeu. Restez objectif et appuyez-vous uniquement sur les faits.
Le négociateur colérique
Les trois parades possibles pour désamorcer une colère sont :
- de compatir si le mécontentement vous semble justifié
- de poser des questions sur un ton calme s'il ne l'est pas et que vous sentez votre irascible capable de revenir à la raison,
- ou de rester longtemps silencieux. Le silence est un outil efficace : il incite votre interlocuteur à occuper l'espace et, ce que faisant, à se libérer. De plus, il renforce le poids de votre discours lorsque vous prenez la parole. On n'écoute jamais aussi bien quelqu'un que s'il ne dit jamais rien.
Faire échouer une négociation
Dans les cas extrêmes, si aucun autre moyen n’a fonctionné, il vous reste à accepter l'échec de la négociation. Assurez-vous dans ce cas :
- Que vous pourrez en faire porter la responsabilité à un fait précis. Non pas pour vous défausser, mais pour vous donner une chance de reprendre les négociations.
- Que vous disposez de soutiens pour relancer les négociations en évitant les pièges et les incidents qui ont conduit à l’annulation de la première session.
Conclure une négociation
Pendant toute la durée de la négociation, rappelez-vous que pour que la partie adverse dise oui il faut:
- qu'elle soit intéressée par notre offre
- que cet intérêt justifie qu'elle y passe du temps par la suite (donc qu’elle y trouve un intérêt supérieur aux inconvénients soulevés par la nouvelle donne, voire supérieur aux offres concurrentes).
- et qu'elle ne la mette pas en danger
Les 6 critères décisifs qui joueront en votre faveur pour emporter la décision finale sont :
- Votre crédibilité sur le dossier
- Votre pertinence (des objectifs réalistes s’appuyant sur des arguments fondés)
- La clarté des bénéfices que votre interlocuteur va retirer de l’accord
- Sa conviction que ce que vous proposez est réalisable
- Le sentiment partagé que l’accord doit être conclu maintenant, que plus tard sera trop tard.
Ne revenez jamais sur un accord conclu, quel qu’en soit le motif. Fuyez les questions d’après closing, elles ne peuvent que tout remettre en cause, voire générer des frustrations. « Les femmes pardonnent parfois à celui qui brusque l’occasion, mais jamais à celui qui la manque » (Talleyrand).
On aura eu soin de préparer à l’avance la conclusion d’un accord. Car une fois l’accord signé, il va falloir l’annoncer. Qui va s’en occuper ? Auprès de qui ? Comment ?
Enfin, prenez le temps d’analyser les résultats d’une négociation a priori. Discutez-en avec vos équipes, validez les chemins suivis, assurez-vous de leur soutien pour la prochaine négociation.
(1) Saint Germain ou la négociation, de Francis Walder
Philippe Guihéneuc
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